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MÉMOIRES DE MARMONTEL

mère n’étoit pas encore détrompée, je fus au supplice moi-même.

Il y avoit, s’il m’en souvient, seize lieues de Linars à Bort ; et, quoique j’eusse conjuré l’exprès d’aller toute la nuit, comment pouvois-je croire qu’il n’eût pas pris quelque repos ? Il me fut impossible d’en prendre aucun, et je n’avois cessé de baigner mon lit de mes larmes, en songeant à celles que ma mère versoit pour moi, lorsque j’entendis dans la cour un bruit de chevaux. Je me lève. C’étoit le comte de Linars qui arrivoit. Je ne me donnai pas le temps de m’habiller pour aller au-devant de lui ; mais il me prévint ; et, en venant à moi en homme désolé : « Ah ! Monsieur, me dit-il, combien va me rendre coupable à vos yeux l’imprudence d’un badinage qui a mis la désolation dans votre famille, et dans le cœur de votre mère une douleur que je n’ai pu calmer ! Elle vous croit engagé avec moi. Elle est venue tout éplorée se jeter à mes pieds, et m’offrir, pour vous dégager, sa croix d’or, son anneau, sa bourse, et tout ce qu’elle avoit au monde. J’ai eu beau l’assurer que cet engagement n’existoit point, j’ai eu beau le lui protester, elle a pris tout cela pour un refus de le lui rendre. Elle est encore dans les pleurs. Partez incessamment, allez la rassurer vous-même. — Eh ! Monsieur le comte, lui demandai-je, qui a pu donner lieu à ce bruit funeste ? — Moi, Monsieur, me