Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une lettre presque effacée de ses larmes. « Est-il vrai, me demandoit-elle, que vous avez fait la folie de vous engager dans la compagnie du comte de Linars, frère du marquis, et capitaine au régiment d’Enghien[1] ? Si vous avez eu ce malheur, marquez-le-moi ; je vendrai tout le peu que j’ai pour dégager mon fils. Ô mon Dieu ! est-ce bien là le fils que vous m’aviez donné ! »

Jugez du désespoir où je tombai en lisant cette lettre. La mienne avoit fait un détour pour arriver à Bort ; ma mère ne la recevroit que dans deux jours, et je la voyois désolée. Je lui écrivis bien vite que ce qu’on lui avoit dit étoit un horrible mensonge ; que cette coupable folie ne m’étoit jamais venue dans la pensée ; que j’avois le cœur déchiré du chagrin qu’elle en éprouvoit ; que je lui demandois pardon d’en être la cause innocente ; mais qu’elle auroit dû me connoître assez pour ne pas croire à cette absurde calomnie, et que j’irois incessamment lui faire voir que ma conduite n’étoit ni celle d’un libertin, ni celle d’un jeune insensé. L’exprès repartit sur-le-champ ; mais, tant que je pus compter les heures où ma

  1. Claude-Annet, baron d’Anval, seigneur de Teissonières, capitaine au régiment d’Enghien, chevalier de Saint-Louis, marié, en 1741, à Marie de Bort, dame de Teissonières. (Nadaud.)