Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T1.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

intéressantes pour occuper une âme oisive. La mienne, après le long travail de mes études et le cruel assaut de la mort de mon père, avoit besoin de ce repos.

Mon curé avoit quelques livres analogues à son état, qui alloit être le mien. Je me destinois à la chaire ; il y dirigeoit mes lectures ; il me faisoit goûter celle des livres saints, et, dans les pères de l’Église, il me montroit de bons exemples de l’éloquence évangélique. L’esprit de ce vieillard, naturellement gai, ne l’étoit avec moi qu’autant qu’il le falloit pour effacer tous les jours quelque teinte de ma noire mélancolie. Insensiblement, elle se dissipa, et je devins accessible à la joie. Elle venoit deux fois par mois présider, avec l’amitié, aux dîners que faisoient ensemble les curés de ce voisinage, et qu’ils se donnoient tour à tour. Admis à ces festins, ce fut là que je pris par émulation le goût de notre poésie. Presque tous ces curés faisoient des vers françois et s’invitoient par des épîtres, dont l’enjouement et le naturel me charmoient. Je fis, à leur imitation, quelques essais auxquels ils daignèrent sourire. Heureuse société de poètes, où l’on n’étoit point envieux, où l’on n’étoit point difficile, et où chacun étoit content de soi-même et des autres, comme si c’eût été un cercle d’Horaces et d’Anacréons !

Ce loisir n’étoit pas le but de mon voyage, et