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MÉMOIRES DE MARMONTEL

la mienne pouvoit avoir les suites les plus redoutables, si l’on n’y faisoit pas quelque diversion. « Un voyage, une absence, et le plus tôt possible, est, dit-il, le meilleur et le plus sûr remède que je puisse vous indiquer ; mais ne le lui proposez pas comme une dissipation : les grandes douleurs y répugnent ; il faut, à leur insu, tâcher de les distraire, et les tromper pour les guérir. »

Le vieux curé qui m’avoit donné des leçons au temps des vacances s’offrit à m’attirer chez lui, au centre du diocèse où étoit son presbytère, et à m’y retenir aussi longtemps que l’exigeroit ma santé. Mais il falloit à ce voyage un motif : il s’en offrit un dans l’intention où j’étois moi-même de prendre la tonsure, des mains de mon évêque, avant d’aller plus loin : car l’une de mes espérances étoit l’heureux hasard d’un bénéfice simple que je tâcherois d’obtenir.

« Je vais, me dit ma mère, employer cette année à éclaircir et à régler les affaires de la maison. Toi, mon fils, hâte-toi d’entrer dans la carrière où Dieu t’appelle fais-toi connoître de notre saint évêque et demande-lui ses conseils. »

Le médecin avoit raison : il est des douleurs plus attachantes que le plaisir même. Jamais, dans les plus heureux temps, lorsque la maison paternelle étoit pour moi si douce et si riante, je n’avois eu autant de peine à la quitter que lors-