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un trop grand théâtre, que je m’y perdrais dans la foule; que d’ailleurs étant né sans bien, je ne saurais qu’y devenir ; qu’à Toulouse je m’étais fait une existence honorable et commode, et qu’à moins d’en avoir une à Paris à peu près semblable, j’aurais la force de résister au désir d’aller rendre hommage au grand homme qui m’y appelait.

Cependant il fallait bientôt me décider pour un parti. La littérature à Paris, le barreau à Toulouse, ou le séminaire à Limoges, voilà ce qui s’offrait à moi, et dans tout cela je ne voyais que lenteur et incertitude. Dans mon irrésolution, je sentis le besoin de consulter ma mère : je ne la croyais point malade, mais je la savais languissante ; j’espérais que ma vue lui rendrait la santé : j’allai la voir. Quels charmes et quelles douceurs aurait eus pour moi ce voyage , si l’effet en eût répondu à une si chère espérance !

Je laisse mon frère à Toulouse ; et, sur un petit cheval que j’avais acheté, je pars, j’arrive à ce hameau de Saint-Thomas où était ma métairie. C’était un jour de fête. Ma sœur aînée, avec la fille de ma tante d’Albois, était venue s’y promener. Je m’y repose et j’y fais ma toilette ; car je portais en trousse, dans ma valise, tout l’ajustement d’un abbé. De Saint-Thomas à Bort en passant à gué la rivière, il n’y avait plus qu’une prairie à traverser. Je fais passer sur mon cheval la rivière à mes deux fillettes, je la passe de même, et j’arrive à la ville par cette belle promenade. Pardon de ces détails : je le répète encore, c’est pour mes enfants que j’écris.

Quand je passai devant l’église on disait vêpres, et, en y allant, l’un de mes anciens condisciples, le même qui depuis a épousé ma sœur, Odde, me rencontra, et alla répandre à l’église la nouvelle de mon arrivée. D’abord mes amis, nos voisines, et insensiblement tout le monde, s’écoule ; l’église est vide , et bientôt ma maison est remplie et environnée de cette foule qui vient me voir. Hélas ! j’étais bien affligé dans ce moment ! Je venais d’embrasser ma mère, et, à sa maigreur, à sa toux, au vermillon brûlant dont sa joue était colorée, je croyais reconnaître la même maladie dont mon père était mort. Il n’était que trop vrai qu’avant l’âge de quarante