Page:Marmier - Les Perce-Neige, 1854.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Dès ce moment, je ne me trouvai plus seul avec lui, et nous n’eûmes plus ensemble aucun libre entretien.

Les habitants des capitales, auxquels il est donné tant de distractions, ne savent pas de quelles vives émotions sont agités ceux qui demeurent dans les villages et dans les bourgades, par exemple quand vient la poste. Le mardi et le vendredi la chancellerie de notre régiment était pleine d’officiers, les uns attendant de l’argent, d’autres des lettres, et d’autres les journaux. Là, les dépêches étaient ouvertes, et l’on se communiquait les nouvelles, et il y avait entre nous une grande animation. Les lettres de Silio étaient adressées au bureau de notre régiment. Un jour on lui en remit une qu’il ouvrit avec une visible impétuosité ; à mesure qu’il la parcourait, son regard étincelait. Les officiers, occupés alors de leur propre correspondance, n’y firent pas attention. Moi seul je le remarquai. « Messieurs, dit-il lorsqu’il eut fini sa lecture, une circonstance impérieuse m’oblige à partir cette nuit. J’espère que vous voudrez bien dîner encore aujourd’hui chez moi pour la dernière fois. Je vous attends, ajouta-t-il en se tournant vers moi, je vous attends. » À ces mots, il sortit précipitamment, et nous convînmes de nous rendre à son invitation.

J’arrivai chez lui à l’heure indiquée et j’y trouvai presque tous les officiers du régiment. Tout son bagage était déjà emballé. On ne voyait dans sa demeure que les murailles nues. Nous nous mîmes à table.