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était fort paisible. « Quoi donc ! nous disions nous, Silio ne se battra-t-il pas ? » Silio ne se battit pas ; il se contenta d’une légère explication et se réconcilia avec celui qui lui avait fait une si grave injure.

Cette affaire ne pouvait manquer de lui nuire dans notre esprit. La peur est la tache la plus impardonnable pour de jeunes officiers qui considèrent le courage comme la gloire de la vie et la justification de plus d’une juvénile folie. Cependant peu à peu tout fut oublié, et Silio reprit sur nous son premier ascendant. Moi seul je n’aimais plus à le rencontrer. Avec mon imagination romanesque, j’avais été plus que tous les autres officiers attiré vers cet homme dont la vie était une énigme et qui m’apparaissait comme le héros d’un mystérieux roman. Il avait de l’affection pour moi. Quand nous étions seuls ensemble, il renonçait à l’âcreté habituelle de son langage et m’entretenait de différentes choses d’une façon simple et agréable. Après la soirée que je viens de raconter, j’étais poursuivi par l’idée que cet homme supportait la souillure faite à son honneur sans vouloir la laver, et avec cette pensée je ne pouvais plus le voir comme auparavant. J’éprouvais près de lui une sorte d’embarras. Silio avait trop de perspicacité et d’esprit pour ne pas remarquer mon impression et pour ne pas en deviner la cause. Il me sembla qu’il en était chagriné ; deux fois je crus remarquer qu’il désirait avoir une explication avec moi ; mais je l’évitai, et il s’éloigna de moi.