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croyable, où il leur disait que jamais il ne rentrerait dans leur demeure, qu’il les priait d’oublier un malheureux pour lequel la mort était le dernier espoir.

Quelques jours après ils apprirent que Vladimir venait de rejoindre l’armée. C’était en 1812. On n’osait parler de lui à Marie ; elle-même ne parlait plus de lui. Deux ou trois mois s’écoulèrent, et un jour elle le vit citer parmi les officiers qui s’étaient le plus distingués à la bataille de Borodino et qui étaient mortellement blessés. En lisant cette nouvelle elle s’évanouit, et la fièvre la reprit ; mais cette fois heureusement ne dura pas longtemps.

Une autre douleur lui était réservée. Son père mourut. Par son testament, il lui léguait tous ses biens. Cette fortune ne pouvait être pour elle une consolation. Elle pleura avec sa mère et jura de ne jamais la quitter. Toutes deux abandonnèrent leur domaine de Nenaradof pour aller habiter une autre propriété. Là de nouveaux prétendants s’empressèrent autour de la riche héritière, mais à aucun d’eux elle ne voulut donner la moindre espérance ; souvent sa mère la priait de se choisir un époux, alors elle secouait la tête et restait pensive : Vladimir n’existait plus. Il était mort à Moscou, la veille du jour où les Français entrèrent dans cette ville. À l’esprit de Marie sa mémoire était en quelque sorte sacrée ; elle gardait avec soin tout ce qui lui rappelait ce malheureux