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était presque jour lorsqu’elle se jeta sur son lit et s’assoupit. Mais à tout instant elle se réveillait agitée par d'affreuses visions. Tantôt il lui semblait qu'au moment même où elle montait en traîneau pour se rendre à l’église, son père l’arrêtait avec un regard furieux, la roulait sur la neige, puis la précipitait dans un abîme ténébreux et sans fond. Tantôt elle voyait Vladimir étendu sur le sol, pâle, ensanglanté. Prêt à mourir, il la conjurait d’une voix déchirante de hâter leur mariage. D'autres images hideuses, extravagantes, succédèrent à celle-ci.

Enfin, elle se leva plus blanche que de coutume et avec un réel mal de tête. Son père et sa mère remarquèrent bien vite sa souffrance. À chaque minute ils lui disaient : « Comment es-tu, Marie ? as-tu encore mal ? » Et l’accent avec lequel ils lui répétaient cette question et leur tendre sollicitude lui brisaient le cœur. Elle s’efforça de se calmer, de paraître gaie, mais sans pouvoir y réussir. Le soir, elle se sentit accablée à l’idée que c’était là le dernier soir qu’elle dût passer dans sa famille. Intérieurement elle disait adieu à toutes les personnes qu’elle avait connues, à tous les objets qui l’environnaient. Quand vint l’heure du souper, comme son cœur battait ! D'une voix tremblante, elle dit qu’elle ne pouvait rien manger et se leva pour prendre congé de son père et de sa mère. ils l’embrassèrent, selon leur coutume, et lui donnèrent leur bénédiction. Elle était prête à sangloter.