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rien [1] ; depuis sainte Odile, l’humble cénobite, jusqu’à Arnold, le joyeux écrivain.

L’Alsace a eu, comme l’Allemagne, ses chanteurs de l’amour et du souvenir, ses Minnesinger [2] et ses maîtres chanteurs. Plusieurs de ces poètes des douzième et treizième siècles ont été si distingués que M. Van der Hagen, avec l’ardeur de son patriotisme teutonique, les a fait entrer dans sa collection de Minnesinger [3], prétendant qu’ils étaient Allemands.

L’un d’eux, Gottfried, de Strasbourg, est justement célèbre. Il accompagnait, comme Walter de Vogelweide, Frédérie Ier à la croisade. Il a composé un beau poème, comme Wolfram d’Eschenbach, un des héros des tournois de la Wartburg. Il a si bien décrit la grâce et la beauté d’Yseult qu’il méritait d’être honoré comme Henri Frauenlob, dont les femmes de Mayence pleurèrent la mort et dont elles voulurent elles-mêmes porter le cercueil dans la cathédrale.

M. Weckerlin a vraiment fait une bonne œuvre en publiant ses chants d’Alsace. Ainsi a fait, il y a quelques années, un noble lorrain, M. le comte de Puymaigre. Avec son religieux patriotisme, il a rassemblé les chansons de village dans le pays messin. Avec sa vaste érudition, il y a joint un trésor de notes, de citations et de comparaisons. En 1880, il a réimprimé ce curieux volume avec de nouvelles glanes et de nouvelles notes. Grâce à lui, nous avons en un beau recueil les poésies populaires de la Lorraine.

Alsace ! Lorraine ! Ces deux noms sont inséparables dans notre souvenir. Ces deux sœurs si braves et si fidèles qui nous ont été si cruellement enlevées !

Sous le sceptre étranger qui maintenant les gouverne, elles nous aiment, elles nous regrettent. L’œuvre fondée par M. le comte d’Haussonville à Paris, au Vésinet et en Algérie est un des témoignages de nos sollicitudes pour tout ce qui

  1. Son Alsatia illustrata a été traduite en 1849 pour M. Ravenez.
  2. Par une juste association d’idées, le mot minne, en suédois, signifie à la fois amour et souvenir.
  3. Minnesinger, Deutsche Liederdichter des 12, 13 und 14 Jahrhunderts. 3 vol. in-4o. Leipzig, 1838.