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n’avait guère connu d’autre langue que la langue allemande. Les prêtres et les savants y ajoutaient le latin.

En allemand ont été composées les premières œuvres littéraires de l’Alsace : le poème de Tristan et Yseult, par Gottfried, de Strasbourg [1] ; la Nef des fous, par Sébastien Brandt [2] ; le Gargantua, de Jean Fischer [3] ; plus tard, en allemand aussi, les fables de Pfeffel, l’aimable poète [4] ; la comédie strasbourgeoise d’Arnold, dont Gœthe a fait un grand éloge [5], et plusieurs œuvres d’érudition de M. Strobel.

Au commencement du dix-septième siècle, la langue allemande était encore, en Alsace, la langue souveraine. Cependant, les gens des hautes classes, les châtelains, les riches bourgeois, apprenaient à parler français. Dans la province germanique des rives du Rhin et de l’Ill, la route ainsi s’ouvrait à notre glorieuse langue, qui est devenue dans toute l’Europe la langue des salons, la langue diplomatique [6] ; la langue qui, à travers le monde, a été plus loin que le grec par

  1. L’un des meilleurs romans de la Table ronde écrit vers 1207. Il a été reproduit dans la langue du dix-neuvième siècle par M. W. Herzt. Stuttgard, 1877.
  2. Das Narrenschift, le Navire des fols. Tableau des vices et des folies du temps en cent treize chapitres, publié à Bâle en 1494, traduit quelques années après en latin et dans la plupart des langues de l’Europe, réédité en 1838 par M. Strobel.
  3. Un des écrivains les plus distingués du seizième siècle pour la souplesse et la clarté de son style. Il a composé un grand nombre de poésies, moins estimées que sa prose.
  4. Né à Colmar en 1736, mort en 1809. Dès l’âge de vingt et un ans, il était aveugle. Le recueil de ses œuvres, en dix volumes, a paru de 1802 à 1810.
  5. Né à Strasbourg en 1789, mort en 1829. Son amusante comédie, Der Pfingst Montay, écrite dans le dialecte strasbourgeois, a été en partie analysée, en partie traduite par M. A. Michiels et publiée à Paris en 1857, avec de charmants dessins de M. Th. Schuler.
  6. En 1678, M. de Saint-Didier, qui accompagnait au congrès de Nimègue notre envoyé M. le comte d’Avaux, écrit : « C’est ici que l’on a vu les progrès de la langue française. Il n’y avait aucune maison d’ambassadeur où elle ne fût aussi familière que la langue maternelle. Bien plus, une preuve que l’on ne pouvait se dispenser de la savoir, c’est que les ambassadeurs anglais, allemands, danois et autres livraient leurs confidences en