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Le malheureux eut deux ou trois soubresauts convulsifs. Son voisin dérangé dans son lourd sommeil fit entendre quelques grognements, mais ne se réveilla pas.

Le Renard-Noir scalpa le premier en un tour de main, accrocha cette chevelure sanglante à sa ceinture et passa au second dormeur.

Comme l’autre il l’étrangla de sa main gauche et de sa droite lui perça le cœur et le scalpa en moins d’une minute.

Le troisième eut le même sort.

Alors échauffé par ce succès, emporté par l’ardeur de la vengeance, enivré par l’odeur du sang répandu, le Sauvage oublia sa prudence.

Il ne se sentait plus satisfait d’égorger aussi froidement ses victimes, son bras impatient de frapper et de rencontrer une résistance animée, s’arma du tomahawk.

Il se pencha sur un quatrième Iroquois et lui tâta la figure afin de s’assurer où était la tête. Et il lui asséna un coup terrible de sa massue en plein visage.

À demi assommé l’Iroquois poussa un cri rauque.

Mais ce fut le dernier.

D’un second coup le Huron lui broya la cervelle.

Le cinquième à moitié réveillé par le cri d’agonie de son voisin fut tout à fait tiré de son sommeil par le poids du corps du Renard-Noir qui, par mégarde, lui marcha sur la main.

Le Huron qui avait les yeux habitués à l’obscurité, le vit se mettre sur son séant.

Il le frappa en plein crâne.

L’Iroquois jeta un cri épouvantable et se jeta sur ses voisins comme pour chercher leur protection.

Le Renard-Noir voulut l’achever et redoubla ses coups. Mais il faisait trop noir pour viser sûrement. Atteint à l’épaule l’Iroquois se mit à pousser des hurlements terribles en criant à l’aide.

Réveillés par ce vacarme tous les dormeurs furent en un instant sur pied.

Le Renard-Noir se jeta par terre à côté du blessé qui se lamentait toujours.

Quelques-uns s’approchent attirés par ces cris, tandis que d’autres tisonnent les feux pour se procurer de la lumière.

On s’agite, on se croise, on se heurte en maugréant.

Enfin la lumière jaillit d’un brandon d’écorce, brille et répand ses lueurs par la cabane.

On accourt vers le blessé qui hurle toujours.

Mais à la vue du carnage, en apercevant quatre cadavres sanglants, plus un blessé, quasi-mort, les Iroquois reculent d’abord épouvantés et remplissent la cabane d’un cri commun de vengeance.

— Ce sont les visages pâles qui ont fait le coup ! Mort aux visages pâles !

— Griffe-d’Ours, notre chef, où est-il ?

— Ils ont enlevé le chef ! Courons après eux ! Et tous s’élancent hors du ouigouam.

— Massacrons la vierge pâle ! s’écrie l’un d’eux.

— Tuons-la ! Elle paiera pour les autres en attendant !

On se rue dans la cabane de la Perdrix-Blanche que l’on trouve seule, garrottée à côté de Griffe-d’Ours.

Dès que celui-ci se sent libre il pousse une exclamation de joie et de rage.

— Que chacun de mes frères s’arme ! commande-t-il, et qu’on vienne me joindre au milieu du village !

Un quart d’heure après, Griffe-d’Ours et ses guerriers sortaient de la bourgade et se lançaient, au pas de course, à la poursuite des fugitifs.


CHAPITRE XXI.

à bon chat bon rat.

Le Renard-Noir qui avait pu s’esquiver inaperçu rejoignit les fugitifs dans la grotte du champ des morts.

Dès qu’il se fut assuré que ses amis étaient sains et saufs, il remonta sur le rocher afin de constater la direction que les Iroquois allaient prendre pour courir après les fugitifs.

Il n’y avait pas un quart d’heure qu’il était ainsi en observation, lorsqu’il entendit un bruit confus de voix qui venait du village. Bientôt après il entrevit, au milieu des ténèbres, une longue file d’hommes qui sortait de la bourgade.

Lorsqu’il l’eut vue serpenter et disparaître au loin dans la plaine, il descendit rejoindre ses compagnons et leur dit :

— Les guerriers de la bourgade viennent d’en partir et se sont lancés à notre poursuite dans la direction du lac Champlain.

— Nous sommes en sûreté pour le moment, dit Joncas. Ils ne reviendront pas avant, au moins, une journée, lorsqu’ils seront bien sûrs que nous n’avons pas pris cette direction ou que nous avons su leur échapper.

— Pour n’être pas surpris quand ils reviendront, reprit le Renard-Noir, mes frères et moi devrons faire la garde, en haut sur le rocher. Au moindre danger, celui qui veillera rentrera dans la caverne en tirant la pierre au-dessus de l’ouverture. Dormez tranquilles, le Renard-Noir va veiller le premier.

Il monta reprendre sa faction.

Bien qu’ils fussent à l’étroit dans la caverne les fugitifs pouvaient cependant y tenir tous. Les hommes se serraient les uns près des autres afin de laisser plus de place à Mlle de Richecourt à laquelle avait été cédé un assez large espace au fond de la grotte.

L’obligation où ils étaient de se tenir presque les uns sur les autres avait l’avantage de les préserver du froid, car ils n’osaient allumer de feu, de peur d’attirer de ce côté l’attention des ennemis.

L’air ne leur faisait pas défaut, même quand la trappe était refermée, vu qu’il en arrivait suffisamment par certaines fissures, à peine perceptibles, qui traversaient la voûte.

Les fugitifs ne dormirent guère pendant cette première nuit qu’ils passèrent à causer à voix basse et à s’entretenir des événements qui s’étaient accomplis depuis leur séparation.

Jolliet écoutait dans un silence extatique le timbre harmonieux de la voix de Jeanne et, du fond de son cœur, remerciait Dieu qui lui