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Le ballot passa, mais non sans arracher une couche de terre et de cailloux d’une des parois de la grotte, immédiatement au-dessous de la pierre.

— Hein ! fit Joncas, en se traînant à son tour sous l’arche sombre pour rejoindre ses amis, cela a passé tout juste.

Son corps se trouvait dans la partie intérieure de la grotte ; mais par malheur, en passant, il accrocha du bout de son pied une pierre qui, seule, retenait faiblement le rocher suspendu.

Un craquement sourd retentit. Joncas bondit vers le fond de la grotte, tandis que l’énorme roche s’affaissait avec fracas sur le sol en bouchant tout à fait l’entrée de la caverne.

Trois cris d’angoisse qui n’en firent qu’un seul éclatèrent dans le souterrain sourd.

Sans se parler, les trois hommes se ruèrent d’un commun élan sur cette muraille de granit pour profiter du mouvement qu’elle avait encore afin de la renverser sur elle-même.

Le rocher ne s’en enfonça que plus avant dans la terre et garda une terrible immobilité.

Dix chevaux ne l’eussent pas fait bouger d’une ligne.

— Mon Dieu ! que va-t-elle devenir ? s’écria Jolliet en se tordant les bras.

— C’est par ma faute ! malédiction, rugit Joncas. Et eux qui nous attendent !

— Le Grand-Esprit les abandonne, dit froidement le Sauvage.

Et il s’assit consterné.

La première pensée de ces trois hommes dévoués avait été pour leurs amis qu’ils ne pouvaient plus secourir.

La seconde, plus poignante, plus atroce encore, leur montra la mort horrible qui les attendait eux-mêmes dans les entrailles de ce rocher fermé sur eux comme le marbre d’un tombeau.


CHAPITRE XVIII.

un gala iroquois.

Dans la cabane de Griffe-d’Ours, la plus grande du village, étaient réunis ce soir-là trois cents guerriers Iroquois.

Il n’y avait pas de femmes avec eux, car elles faisaient généralement leurs festins à part.

Le vacarme était à son comble. La danse dont la coutume faisait toujours précéder un grand repas, tirait à sa fin et acquérait un entrain, un délire, une furie à donner le vertige.

Chacun avait d’abord dansé seul en célébrant les exploits de ses ancêtres et les siens propres. Cela avait duré deux heures.

Maintenant l’assemblée toute entière se tenait par la main et tournait en sautant avec des hurlements de joie, dans une ronde échevelée.

Sous le vaste ouigouam à demi éclairé par de méchantes torches de bois résineux, on voyait tournoyer une longue chaîne d’hommes aux mains enlacées. Ils étaient nus et ainsi frénétiques et hurlants, ils avaient l’air, dans cette demi obscurité, de démons célébrant quelque saturnale dans l’abîme maudit.

Mêlée à cette foule délirante vous auriez pu distinguer, à chaque tour de la ronde, une figure étrange, au milieu de laquelle une longue moustache en croc produisait le plus curieux effet parmi les tatouages dont les joues étaient bigarrées. Le corps que surmontait cette drôle de figure n’aurait pas moins attiré votre attention par les gambades extravagantes auxquelles il se livrait. À force d’adresse et de dislocation, sa danse prenait un caractère tellement original et fantastique que tous ceux qui le pouvaient bien apercevoir en riaient aux larmes.

Que l’on veuille bien m’en croire ou non, mais, sur mon âme, c’était le chevalier du Portail de Mornac qui se livrait, à sa manière, au noble exercice de la danse.

— Ah ! grommelait-il entre deux gambades, vous vous croyez forts en gymnastique. Eh bien ! sauvages que vous êtes, je m’en vais vous montrer un peu, moi, ce que peut faire un cadet de Gascogne après deux ans d’assiduité à l’académie de Paris. Tra-deri-dera ! chantait-il en effleurant du bout du pied l’œil de son voisin de droite. Zim-la-hi-tou, paf !

Et son talon s’en allait caresser le menton de son suivant de gauche.

Tout cela avec des cabrioles, des gestes et des sauts impossibles.

Savez-vous quelle était la pensée dominante de tous ceux qui le regardaient ? C’est qu’il eût vraiment été dommage de brûler complètement la veille un si joyeux diable qui, après tout ne causait de mal à personne et faisait rire tout le monde.

La vitesse de la ronde augmentait. Ce n’était plus une danse, c’était une course folle, furibonde.

Le sang fouetté par ce violent exercice, le cerveau échauffé par le tournoiement rapide et prolongé, les danseurs étaient pris de vertige ; et la bande hurlante allait de plus en plus vite.

Mornac en était arrivé à ne pouvoir plus battre le moindre entrechat et c’est à peine s’il avait la satisfaction de lancer parfois son pied dans le nez d’un voisin. Il était soulevé, entraîné, balayé comme un fétu de paille.

Enfin il sentit le vertige l’empoigner à son tour.

Étourdi, ébloui, aveuglé, il se laissa tout à fait aller à l’élan général et ferma les yeux.

Longtemps il fut ballotté dans ce tournant irrésistible qui l’emportait sans presque lui laisser toucher du pied la terre.

Il était déjà navré, étouffé presque par le manque d’air et la vélocité du mouvement, lorsqu’enfin la longue chaîne circulaire des danseurs, oscillant deux ou trois fois sur elle-même, se rompit et s’abattit de ci et delà, haletante, épuisée, stupide.

Mornac qui n’avait plus la volonté de se retenir à rien, roula plusieurs fois sur le sol, mais d’une si burlesque façon que ceux qui le purent voir exécuter cette dernière cabriole, se tinrent les côtes à deux mains pour les empêcher de voler en éclats par la force du rire.

Le Gascon qui s’en aperçut en revenant à soi, se dit :

— Je crois, sandis ! que je joue passablement mon rôle et que le Renard-Noir serait content de moi s’il me pouvait voir.

Les danseurs se relevaient l’un après l’autre, encore étourdis et essoufflés lorsque