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À une couple d’arpents du rivage, ils s’arrêtèrent, et Griffe-d’Ours dit aux prisonniers après les avoir débarrassés de leurs liens :

— Si les faces pâles refusent d’obéir et font mine de se sauver, nous les tuerons tout de suite comme des chiens qu’ils sont. Les blancs vont creuser ici un trou pour y enterrer les deux guerriers qu’ils ont tués. Le corps des braves ne doit pas rester exposé à la voracité des bêtes et des oiseaux de proie.

Les Iroquois désignèrent le lieu précis et la grandeur de la fosse et firent signe à Jean de commencer à creuser.

Celui-ci se mit à l’œuvre.

Mlle de Richecourt, assise à quelques pas de distance, s’efforçait de paraître calme ; mais on voyait à l’agitation de son sein qu’elle était plus qu’émue.

Lorsque vint le tour de Mornac, les Sauvages lui firent signe de remplacer Jean.

Un éclair brilla dans l’œil du chevalier. Mais sa cousine lui fit signe de se résigner. D’ailleurs, à la vue de l’hésitation que Mornac venait de manifester, Griffe-d’Ours s’était rapproché de lui en brandissant son tomahawk. Cet argument produisit un effet immédiat, et, tout bon gentilhomme qu’il fût, Mornac dut se soumettre.

Peu habitués à ce dur travail et mal pourvus d’outils, les captifs mirent plus de deux heures à creuser la terre, et le soir était venu quand ils eurent fini.

Les Iroquois placèrent leurs deux camarades dans la fosse qu’ils eurent soin de recouvrir de grosses pierres pour empêcher les bêtes fauves de déterrer les cadavres.

Ensuite ils garrottèrent de nouveau les captifs qui voyant bien que toute résistance était inutile, se laissèrent attacher.

Les Sauvages redescendirent avec eux vers la grève, et là, hors des atteintes de la marée, ils allumèrent un grand feu près duquel ils prirent leur repas du soir.

Quand ils eurent fini, ils se parlèrent avec animation durant quelques minutes.

Les prisonniers qu’ils regardaient souvent virent bien qu’il s’agissait d’eux, quoiqu’ils ne comprissent pas un mot au langage des Iroquois.

Ceux-ci se levèrent et vinrent examiner les captifs l’un après l’autre. Après avoir regardé Mornac et Vilarme avec attention, ils finirent par s’arrêter d’un commun accord en face de Jean Couture. Leur résolution fut bien vite prise et Griffe-d’Ours dit au pauvre valet :

— Le jeune visage pâle paraît le plus faible des trois, et le moins capable de supporter les fatigues du voyage. Il va mourir cette nuit.

Le malheureux garçon se jette aux genoux du chef qu’il embrasse en le suppliant de lui faire grâce. Ses gémissements lamentables n’émeuvent nullement l’Iroquois qui repousse l’infortuné d’un coup de pied et répond froidement :

— J’ai dit.

— Jean est encore à genoux quand l’un des Sauvages s’approche de lui par derrière, saisit le valet par les cheveux, appuie l’un de ses genoux sur le dos de la victime, tire de sa gaine un couteau à scalper dont il lui enfonce dans la tête la pointe tranchante qui décrit un cercle rapide autour du crâne. Puis le Sauvage retient entre ses lèvres le couteau d’où le sang dégoutte, saisit à pleines mains la chevelure du malheureux, que d’un seul effort il arrache violemment avec la peau.

L’infortuné pousse un hurlement de douleur et reste étendu sans remuer sur le sol.

Jeanne jette un cri d’horreur et perd connaissance.

Oubliant que ses pieds sont attachés, Mornac veut s’élancer sur les bourreaux. Mais il tombe tout de son long par terre ; ce qui fait rire les Sauvages aux larmes.

Après avoir relevé Mornac et l’avoir placé de manière à ce qu’il ne perdit rien de ce qu’il allait advenir, les Iroquois ramassèrent la victime évanouie qu’ils ranimèrent en lui jetant de l’eau froide à la figure. Puis il l’adossèrent contre un petit arbre auquel il fut solidement attaché.

Ces préparatifs terminés, l’un des Sauvages saisit des charbons ardents au milieu du brasier et les déposa avec beaucoup de soin sur le crâne sanglant et dénudé du jeune homme. Celui-ci, tout en recommandant son âme à Dieu, se mit à pousser des cris pitoyables qui ne devaient finir qu’avec sa vie.

Ce qui précède n’était qu’un prélude, et alors commença une de ces scènes épouvantables, dont l’atroce barbarie ne serait point croyable aujourd’hui, si nos annales n’en étaient pas remplies avec l’attestation des témoins les plus véridiques.

Tandis que deux Iroquois, accroupis sur le sol, coupaient avec leurs couteaux les orteils de la victime, d’autres lui arrachaient les ongles des doigts de la main, mais lentement, afin que le supplicié sentît bien chaque nouvelle souffrance.

Quand les pieds et les mains du jeune homme ne furent plus qu’une plaie vive, Griffe-d’Ours écarta ses compagnons. D’un tour rapide de son couteau, il cerna le pouce du misérable, vers la première jointure ; puis, le tordant, il l’arracha de force avec le muscle qui se rompit au coude, tant la violence du coup était grande.

Et tandis que le pauvre garçon jetait d’horribles clameurs, le chef, avec un sourire de satisfaction, suspendit à l’oreille du patient ce pouce ainsi tiré avec le nerf, en guise de pendant d’oreille.

Il continua de lui arracher ainsi tous les doigts l’un après l’autre, pendant que ses camarades enfonçaient à mesure, dans ces plaies, des esquilles de bois qui devaient lui faire éprouver des tortures de plus en plus atroces ; car ses cris redoublèrent encore.[1]

Satisfait de la dextérité qu’il avait montrée Griffe-d’Ours céda sa place à un autre.

Celui-ci s’approcha doucement et coupa, tour à tour, le nez, les lèvres et les joues de sa victime. Puis avec un raffinement de démon, il lui arracha les deux yeux, les laissa pendre sur la figure ensanglantée et plaça dans chaque orbite vide un tison ardent.

  1. Ce fait est rapporté dans les Relations des Jésuites, de 1660.