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recourir à la mine et utiliser la poudre que j’ai eu soin d’apporter. Pourtant, ce serait malheureux si l’explosion allait endommager le coffre-fort. Il vaut mieux jouer encore un peu de la pince. Mais avant, buvons de nouveau à ma santé.

Après avoir donné une seconde accolade à la gourde, Sournois se remit à l’œuvre avec une nouvelle vigueur.

— Cré tonnerre ! s’écria-t-il, au bout de quelques minutes, je travaillerais bien deux jours de la sorte que je n’en viendrais pas à bout.

Il laissa retomber l’un des bouts de sa pince dans un accès de mauvaise humeur.

Mais, ô surprise ! roulant sur des pivots d’acier. un lourd quartier de roc pivote sur la paroi et découvre une voûte profonde.

La pince de fer en frappant le sol a rencontré et fait jouer le ressort.

— Et moi qui n’avais pas songé à regarder à terre ! s’écria Sournois tout joyeux de ce succès inespéré.

Il saisit la lanterne et en dirigea la lumière sur l’ouverture pratiquée horizontalement dans la muraille.

Une grosse caisse de fer en occupait presque tout l’espace.

— Hein ! hein ! ma mignonne, nous allons voir un peu si tes charmes et ta vertu vont pouvoir résister à mon amour, dit Sournois qui caressa des yeux le coffre-fort. Si pourtant ton corsage discret contenait un stylet pointu comme en portent, dit-on, les brunes Andalouses ? Mais bah ! c’est seulement pour m’effrayer que le maître a dit cela. Il n’y a personne dans le coffre, je m’imagine. La bonne farce ! Il fallait que vous me crussiez bien bête, cher monsieur Bigot. Mais patience, vous reviendrez avant longtemps de ces idées-là ! Ah ! ah !

Sournois déposa sa lanterne dans la cache, à côté du coffre-fort, afin d’éclairer ses opérations. Puis, comme la boîte se trouvait renfoncée dans l’ouverture et qu’elle était trop lourde pour qu’il la pût remuer aisément, il fit entrer sa tête et son buste dans la voûte, en disant avec ce rire hideux qui grimaçait sur ses dents jaunes :

— Pardon, madame la caisse, si je porte sur vous des mains violentes ; mais comme vous ne voulez pas venir à moi, je vais à vous.

Il tira de sa poche de veste une petite clef qu’il introduisit d’une main nerveuse dans le trou de la serrure. Il tourna de gauche à droite. Deux ou trois craquements se firent entendre à l’intérieur du coffre-fort, semblables à ceux d’une batterie de mousquet que l’on arme.

Mais rien ne s’ouvrit.

— Diable ! dit Sournois, j’ai pourtant eu assez de mal à faire cette clef sur celle que le maître porte toujours avec lui, et que je lui ai enlevée de son haut de chausse, un soir qu’il dormait. Enfin, ce petit bruit m’indique que la clef n’est pas inutile, bien qu’il reste encore quelque chose à faire.

Douze clous à tête d’acier retenaient la serrure au dehors.

— Voyons un peu ce petit collier de madame, fit le valet, en pressant chacun des clous avec la pointe d’une vrille.

Le septième qu’il toucha était mobile. Sournois pesa fortement dessus. La tête s’enfonça et le lourd couvercle s’ouvrit en tournant lentement.

— Vous vous rendez donc enfin, ma chère ! s’écria le voleur en se penchant sur le coffre de fer. Puis avec un hurlement de douleur :

— Sacre !

Une éclair rougit la voûte, une double détonation éclate, et le voleur tombe foudroyé.

Le coffre-fort contenait un pistolet à deux canons et chargé, dont un savant mécanisme faisait armer et partir la détente lorsqu’on ignorait la manière d’ouvrir la caisse, sans courir le danger de recevoir deux balles en pleine poitrine.

Durant quelques secondes, Sournois se tordit sur le sol en blasphémant. Ses mains crispées serraient convulsivement sa poitrine pour arrêter l’effusion du sang qui coulait à gros bouillons entre ses doigts.

Mais il sentit bientôt que ses cris augmentaient l’hémorragie et s’arrêta. Puis, gardant sa main gauche appuyée sur sa double blessure, il s’aida de la droite pour se relever.

Après maints efforts dont chacun dévorait sa vie, il se trouva debout près de la cache béante, les cheveux hérissés, l’œil hagard et les lèvres frangées d’une écume sanglante.

La caisse était toute grande ouverte, et Sournois aperçut sous les canons du pistolet dont la gueule fumait encore, un monceau de pièces d’or rangées en piles.

Il y en avait de toutes sortes, depuis le louis français, la livre sterling anglaise, le florin d’Allemagne et le sequin d’Italie, jusqu’à la pistole et au doublon d’Espagne.

À la vue des reflets dorés qui miroitaient sous la lumière plongeante de la lanterne, Sournois éprouva un tremblement convulsif qui lui arracha des cris de rage et de douleur.

Être là devant des millions, n’en pouvoir rien emporter et se sentir expirer.

— Oh ! sois maudit, Bigot ! cria-t-il en grinçant des dents.

Ses forces s’en allaient pourtant avec son sang qui coulait toujours. La terreur envahissait tout son être avec le froid de la mort. Il allait donc périr là, seul avec les araignées noires et les crapauds baveux que le bruit des coups de pinces et des détonations avait fait sortir de maintes crevasses ; sans autres témoins de son agonie que ces bêtes hideuses et les murs sombres et humides qui semblaient ricaner d’une façon satanique en répétant ses cris de douleur.

— Non ! non ! sortons ! s’écria le misérable. Mourir, soit ; mais à l’air au moins !

Et avec cette dernière lueur d’espérance qui voltige au-dessus des moribonds, tant que leur œil ne s’est pas terni sous le souffle de la mort :

— Qui sait, — damnation que je souffre ! — qui sait… si l’on ne viendra pas… à mon secours.

Il jeta un dernier regard sur l’or qui chatoyait sous ses yeux, et chancelant, glissant dans son sang qui coulait sur ses jambes trem-