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étaient encore au Cap-Rouge avec M. de Bougainville, se placent au centre, les milices de Québec et de Montréal à droite, vers le chemin de Sainte-Foye, et celles des Trois-Rivières à gauche sur le chemin Saint-Louis. On jette des pelotons de sauvages et de troupes de royal-marine sur les ailes. Puis, sans donner le temps de reprendre haleine à ses soldats qui viennent de gravir à la course le Rideau ou côteau Sainte-Geneviève, Montcalm fait sonner les clairons.

L’armée s’ébranle sur une seule ligne, sans corps de réserve, et court sus à l’ennemi dont le carré profond s’étend en face des buttes à Neveu.

Six régiments, dont le 78ème des montagnards écossais, fort à lui seul de quinze à seize cents hommes, les grenadiers de Louisbourg et deux pièces de canon forment le côté de l’armée anglaise, qui regarde la ville. L’autre côté fait face au chemin Sainte-Foye et le troisième à Sillery.[1]

Wolfe, qui sent bien que la partie sera décisive et que toute retraite est impossible à ses troupes, si elles sont battues, parcourt lui-même leurs rangs pour aiguillonner l’ardeur de ses soldats.

— Mettez deux balles dans vos fusils, leur crie-t-il, et attendez que l’ennemi ne soit plus qu’à vingt pas. Alors ouvrez le feu tout d’un coup.

Nos troupes, les réguliers du centre surtout, essoufflées d’avance, ont rompu leurs rangs dans la charge et accourent sans ordre et sans consistance. Arrivés à quarante pas des masses anglaises, nos soldats du centre commencent à tirer sur l’ennemi, mais sans être appuyés par les autres bataillons distancés et empêchés de faire feu par ceux des leurs qui se trouvent interposés entre eux et l’ennemi.

Les Anglais les attendent et soudain leur feu s’ouvre meurtrier, écrasant, soutenu.

M. de Montcalm avait gardé près de lui Beaulac et Lavigueur dont les chevaux lui étaient en outre d’une grande utilité ; Raoul pour transmettre ses ordres, et Lavigueur, afin de lui tenir prête au besoin une monture de rechange.

Le général, voyant que les premières décharges des Anglais semblent jeter l’indécision parmi les troupes du centre, s’y porte aussitôt. Beaulac et Lavigueur le suivent.

En ce moment, Wolfe, déjà blessé au poignet, charge les nôtres à la baïonnette avec ses grenadiers. Il gravit le renflement du côteau, en face de l’endroit où s’élève aujourd’hui la prison neuve, lorsque Lavigueur qui arrivait au galop arrête son cheval, arme sa carabine, couche en joue le général anglais éloigné de deux cents pas, et fait feu.

Au milieu de la fumée des fusillades, le Canadien voit Wolfe qui s’affaisse entre les bras de deux grenadiers anglais.

— Voilà un petit officier qui en a pour son compte, murmure-t-il en rechargeant son arme à la hâte.

À Wolfe qu’on s’empresse de porter en arrière, succède le colonel Carleton. Il est à son tour blessé à la tête. Le chef de brigade Monckton le remplace et continue de charger les nôtres, dont une partie est privée de baïonnettes, et qui commencent à plier.

— Au nom de Dieu et du roi, tenez ferme ! leur crie M. de Montcalm, qui se jette avec ses officiers au milieu de la mêlée.

Beaulac et Lavigueur font à côté de lui des prodiges d’audace. Deux fois leurs chevaux ont rompu les rangs des grenadiers anglais. Mais deux fois la force irrésistible de la colonne assaillante les rejette au milieu des leurs. Un nuage de fumée les entoure, la poudre leur noircit le visage, les balles se croisent et sifflent autour d’eux. À leurs pieds retentissent le bruit sourd des coups de crosse, les imprécations des blessés et les cris des mourants qu’on écrase. M. de Montcalm est atteint deux fois, mais légèrement. Raoul reçoit deux balles dans ses habits, puis un coup de baïonnette dans la jambe gauche.

Soudain, Lavigueur, qui le suit partout et le couvre au besoin de son corps sans trop s’occuper de lui-même, voit Monckton coucher Raoul en joue avec la légère carabine que les officiers anglais portaient alors en bandoulière. Jean saisit le seul pistolet d’arçon chargé qui lui reste et ajuste Monckton qui tombe en lâchant son coup de feu. La balle du brigadier blessé dévie et jette à vingt pieds en l’air le chapeau de Beaulac.

— Merci, Jean, lui dit Raoul ; sans toi, je l’avais en pleine figure.

— Ce n’est pas la peine, mon lieutenant. M’est avis cependant que nous ferions bien de suivre les autres.

En effet, les nôtres, après avoir plié, cèdent enfin sous le nombre et Beaulac se trouve presque seul avec Lavigueur en face des Anglais qui se lancent, commandés maintenant par Townshend, à la poursuite des Français.

— Deux temps de galop, dit Raoul, et allons rallier les Canadiens en bas du côteau.

Ils tournent bride, piquent des deux, passent entre le centre et l’aile droite de notre armée en désordre, s’arrêtent bientôt et se placent en travers des fuyards en leur criant d’arrêter.

Au même instant des clameurs amies s’élèvent derrière eux. C’est M. de Vaudreuil qui arrive à la tête des Canadiens du camp de Beauport.

D’abord dissuadé de marcher de conserve avec M. de Montcalm par Cadet et quelques autres qui y avaient un intérêt particulier[2], le marquis de Vaudreuil, n’écoutant enfin que son courage et sa loyauté, arrivait au secours du général.

M. de Montcalm, qui tâchait de rallier ses troupes, en haut du côteau, vient cependant de tomber de cheval, entre les buttes à Neveu et la porte Saint-Louis. On l’emporte dans la ville, mortellement blessé. La nouvelle s’en répand avec la rapidité de l’éclair et ne fait qu’accélérer la retraite des fuyards.

L’impulsion de la déroute, donnée par les troupes réglées, n’entraîne cependant pas complètement les milices canadiennes, qui, accoutumées à reculer à la façon des sauvages et à

  1. M. Garneau.
  2. Mémoires sur les affaires du Canada.