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visiter, et se trouva conséquemment hors d’état de pouvoir s’occuper de leur commun projet.

Une autre déception attendait Beaulac. Dans la nuit du dix-huit au dix-neuf juillet, trois vaisseaux anglais remontèrent le fleuve au-dessus de la ville, malgré le feu de la place, et allèrent mouiller vers la rivière des Etchemins. Il était à craindre qu’ils n’opérassent un débarquement sur la rive droite du fleuve ; aussi envoya-t-on immédiatement de ce côté le sieur Dumas, major-général des troupes de la marine, avec six cents hommes afin de les en empêcher.

M. de la Roche-Beaucourt reçut l’ordre de remonter jusqu’à la rivière Jacques-Cartier avec le corps de cavalerie dont Raoul faisait partie, afin de prévenir une descente des Anglais sur la rive gauche du fleuve.[1]

Ce fut avec un morne regret que Beaulac laissa le camp français. Plusieurs fois il se retourna sur sa selle, à mesure que son cheval l’éloignait de Beauport, afin de regarder encore les lieux où son âme restait en compagnie de la douce image de sa chère Berthe. Sur les hauteurs du chemin de Sainte-Foye, à certain endroit où il allait perdre la vue de l’île d’Orléans et de l’Ange-Gardien, il arrêta son cheval et laissa planer une dernière fois son regard au-dessus de l’île et des Laurentides, dont les sommets, d’un vert sombre à l’avant-scène, allaient se fondre à l’horizon dans le ciel bleu.

À la pensée qu’il ne reverrait peut-être jamais ni ces lieux aimés, ni sa brune fiancée, il sentit un sanglot déchirer et soulever sa poitrine. Mais la forte conviction du devoir accompli lui fit bientôt refouler en son cœur cette faiblesse indigne d’un militaire, et il lança sa monture au galop pour rejoindre la cavalcade qui disparaissait au premier détour de la route.

Le but de Wolfe en faisant passer des vaisseaux au-dessus de la ville avait été de tourner et d’attaquer l’aile droite de l’armée française : mais les Anglais trouvèrent trop périlleuse une descente sur la rive sud. Leurs vaisseaux restèrent cependant au-dessus de Québec et les troupes qui les montaient firent de courtes descentes à la Pointe-aux-Trembles et à Deschambault, où elles enlevèrent quelques prisonniers ainsi qu’une grande partie du bagage des officiers français.

Le détachement de M. de la Roche-Beaucourt, qui devait continuer à rester au-dessus de la ville pour observer les mouvements des trois vaisseaux, engagea plusieurs escarmouches avec les troupes qui opérèrent ces débarquements ou voulurent en tenter d’autres ; Beaulac se signala dans ces diverses rencontres.

Encore une fois frustré dans ses espérances, Wolfe se résolut enfin à attaquer la gauche de l’armée française, en flanc par la rivière Montmorency et de front par le fleuve dont la grève unie et spacieuse offrait, en cet endroit, les plus grandes facilités pour le débarquement des troupes de la flotte et de la Pointe-Lévi. Celles de l’Ange-Gardien traverseraient facilement le gué du Montmorency, en bas de la chute, et se joindraient aux autres sur la plage pour de là marcher à l’assaut des retranchements français ; enfin, un troisième corps de deux mille hommes devait remonter le Montmorency et passer à gué certain endroit de la rivière, situé à une lieue de la chute, et tomber sur nos derrières.

Afin d’appuyer ces divers mouvements et d’en assurer le succès, le général anglais fit d’abord garnir de plus de soixante bouches à feu la rive gauche du Montmorency, qui, plus élevée que la droite, permettait à ses artilleurs de diriger un feu plongeant dans nos retranchements. Ensuite, il fit échouer sur des récifs deux transports de quatorze canons chacun, au bas de la route de Courville, au pied de laquelle les nôtres avaient élevé une redoute dont l’artillerie balayait le gué offert aux troupes anglaises de l’Ange-Gardien ; tandis qu’une frégate de soixante canons devait venir s’embosser le plus près possible de la chute, faire taire, appuyée par le feu des transports, les trois pièces de canon de la redoute, et refouler nos troupes qui tenteraient de s’opposer à la descente des bataillons anglais.

À peine pouvions-nous opposer une dizaine de bouches à feu à plus de cent pièces d’artillerie qui allaient tonner contre nous.

C’était un bon plan que celui de Wolfe ; aussi sembla-t-il devoir réussir tout d’abord.

Le trente-un juillet à midi, son artillerie ouvrit le feu et ses troupes se mirent en mouvement.

À deux heures, M. de Montcalm se porte sur la gauche où le chevalier de Lévis, avec cette hardiesse de conception et la promptitude d’action qui lui sont propres, est déjà prêt à la défense. Apprenant par ses éclaireurs que deux mille ennemis remontaient la rive gauche du Montmorency pour tenter le passage du gué à trois milles en avant de la chute, le chevalier avait aussitôt dirigé un renfort de cinq cents hommes sur ce passage défendu par M. de Repentigny. Surpris de la vive résistance qu’ils avaient rencontrée, les Anglais avaient de ce côté battu promptement en retraite, et les cinq cents hommes envoyés pour appuyer M. de Repentigny étaient déjà revenus glorieux sur leurs pas pour prendre part au combat plus sérieux qui allait s’engager près de la cataracte.

Sous ses ordres M. de Lévis a trois mille hommes, la plupart Canadiens, et qui gardent la meilleure contenance sous une grêle de projectiles lancés depuis midi par les batteries anglaises. Partout règne l’enthousiasme. Le général Montcalm approuve les dispositions de M. de Lévis et retourne au centre pour s’y tenir prêt à secourir au besoin le chevalier, à la tête des réguliers tenus en réserve.

L’ennemi s’ébranle enfin. Il est trois heures. Une chaleur écrasante sans un souffle de vent, ainsi que de gros nuages noirs qui s’entassent au ciel, indiquent un prochain orage.

Plus de quinze cents barges chargées d’Anglais sont en mouvement dans le bassin de Québec. Après plusieurs feintes de débarquement sur différents points du rivage, depuis la Canardière jusqu’à la rivière Montmorency,

  1. Historique. M. Ferland, p. 573.