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sur lui la trappe. Ensuite il déposa son fardeau à terre et tira de sa poche un briquet, dont il se servit pour allumer une des lanternes qui pendaient accrochées à l’entrée du souterrain.

Puis il reprit sa charge et se remit à marcher.

Son falot jetait une lumière blafarde sur les parois humides, où elle laissait voir de grosses araignées, qu’on n’avait pas dû déranger depuis longtemps sans doute, tant elles dormaient sans crainte dans leurs légers hamacs attachés à toutes les aspérités ; pendant que de petits lézards et d’autres reptiles de ce genre fuyaient sous les pas de l’importun pour se réfugier dans les crevasses du pavé.

Mais Sournois, qu’on a dû reconnaître, paraissait se soucier peu de la hideuse présence des insectes et des reptiles, ainsi que de l’atmosphère humide ; d’un pas ferme il gagna l’extrémité du souterrain que terminait un escalier semblable à celui de l’entrée.

Il en gravit les marches, et lorsque sa tête toucha la voûte du corridor, il appuya le pouce sur un bouton de cuivre dont un secret mécanisme fit ouvrir une seconde trappe qui donnait accès dans la cave de la petite tour de l’ouest.

Un autre escalier conduisait d’abord au rez-de-chaussée, puis devant l’unique appartement du premier étage dont Sournois ouvrit la porte avec une clef qu’il tira d’une cachette habilement pratiquée dans la muraille.

C’était une ravissante petite chambre que celle où il pénétra, un vrai boudoir de marquise.

Un moëlleux tapis de Perse y étouffait le bruit des pas, tandis que des rideaux de damas rouge, qui laissaient retomber gracieusement jusqu’à terre les flots soyeux de leurs épais replis, empêchaient les regards indiscrets du dehors de pénétrer à l’intérieur de la chambre.

À côté d’un lit blanc et coquet à demi caché dans une alcôve, on apercevait un riche chiffonnier en bois de marqueterie satiné que surmontait une glace de Venise. Sur ce meuble s’étalait un charmant nécessaire de toilette, dont les nombreuses pièces de vermeil renfermaient la poudre alors en grand usage, les diverses pommades et les parfums variés indispensables à une femme élégante et jeune.

Une causeuse et deux fauteuils, aussi de bois satiné et de velours rouge, semblaient attendre d’élégants visiteurs. En voyant les carreaux d’épais velours qui s’étendaient au pied de chacun de ces sièges, on pensait combien de mignonnes bottines devaient faire ressortir avec avantage le petit pied d’une femme sur le fond cramoisi du velours.

Une splendide tenture de tapisserie des Gobelins, que Bigot avait fait venir à grands frais de France, et représentant des sujets tirés de la mythologie amoureuse, revêtait les murs de la chambre ; et des Amours joufflus, peints sur le plâtre du plafond, lançaient leurs flèches à de folâtres bergères qui semblaient faire aussi peu de cas de leur vertu que de leurs moutons, tant leur attitude, était provocatrice et leurs robes courtes, légères et transparentes.

— Cornebœuf ! se dit Sournois, qui déposa sur le lit la jeune fille toujours évanouie, le joli lieu pour souper en compagnie de deux amis, d’un pâté de venaison et de vins de choix à discrétion ! Sont-ils heureux ces richards-là ! Tout pour eux et rien pour nous ! Mais n’importe, j’espère assez grossir le magot que j’ai caché dans le souterrain, à côté de celui du maître, pour retourner vivre en France d’ici à cinq ou six ans. C’est alors, morbleu ! que je pourrai tâter à mon tour de cette vie de plaisir, sous un nom d’emprunt ! Mais il me va, pour cela, falloir augmenter un peu les légers impôts que j’ai jusqu’ici prélevés sur la bourse de M. l’intendant. Et pourquoi m’en ferais-je un scrupule ? Le diable ne rit-il pas du voleur qui en pille un autre ? Ah çà ! mais cette donzelle a-t-elle donc eu assez peur de moi pour passer, en un rien de temps, de vie à trépas ?

Sournois venait d’entr’ouvrir le manteau, et la lumière de la lanterne tombait en plein sur la jeune fille, dont la belle figure avait la pâleur de la mort. Elle ne remuait pas, notre héroïne, et le souffle vital semblait avoir fui sa poitrine, si l’on s’en rapportait à l’absence complète de mouvement et de bruit respiratoires.

— Ah bien ! par exemple, qu’elle soit morte ou non, dit le valet, peu m’importe ! j’ai bien et dûment exécuté les ordres de mon maître, ma tâche est maintenant accomplie, et c’est son affaire de rendre cette belle à la vie. Quant à moi, je m’en vais souper : car cette course à franc-étrier m’a donné une faim de diable !

Sournois alluma une bougie rose qu’il y avait dans un bougeoir d’argent sur le chiffonnier, et se retira par où il était venu.

Avant de sortir du souterrain, il s’arrêta toutefois près de la trappe d’entrée pour faire jouer un ressort qui ouvrit un petit panneau de fer, lequel, fermait une cache pratiquée dans la paroi de gauche. Il en tira une cassette qu’il ouvrit avec hâte.

Un sourire de satisfaction effleura ses lèvres à la vue de plusieurs piles de louis d’or qui couvraient le fond de la boîte, en compagnie d’un portefeuille des plis duquel débordaient un assez grand nombre de bons sur le trésor.

Il referma la boîte ainsi que le panneau du coffre-fort, et jeta un regard d’envie sur la paroi opposée.

— Le maître m’a défendu de toucher à l’autre, se dit-il, et m’a menacé d’une épouvantable catastrophe si j’osais porter la main de ce côté. Qui sait si ce n’est pas seulement pour m’effrayer ? L’occasion me viendra bientôt, peut-être, de tenter à ce sujet une expérience dont la réussite comblerait d’un seul coup tous mes vœux.

Après quelques minutes de contemplation devant ce mur humide qui n’offrait pourtant aucune trace d’ouverture, le valet de confiance de M. l’intendant gravit les degrés, et sortit du souterrain dont il referma la trappe.

Lorsqu’il revint dans l’avenue, il rencontra