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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

— Mon frère est mort, s’il crie ! murmure une voix étrange à l’oreille du pauvre Boisdon dont la moelle semble lui glacer les os, tandis que ses genoux se donnent de nerveuses et rapides accolades.

On sait que Boisdon avait presque un aussi grand faible pour sa vie que pour son argent. Nous pouvons même avancer sans crainte qu’il lui passait souvent de petits frissons nerveux sur l’épine dorsale, quand il lui fallait s’aventurer, seul par les rues, alors que le soleil ne pouvait être témoin d’une bravoure qu’il aurait volontiers affichée en plein midi.

Notre homme eut si peur en cette circonstance, qu’il promit de faire chanter dix grand’messes pour le soulagement des âmes souffrantes, si ce poignard menaçant s’émoussait sur sa poitrine.

Le sauvage voyant l’hôtelier tremblant arrêter jusqu’au mouvement de ses yeux, pour ne point paraître opposer de résistance, avait repoussé Boisdon jusqu’au milieu de l’unique pièce du rez-de-chaussée, après avoir refermé du pied la porte qui s’ouvrait sur la rue. Puis, desserrant un peu l’étau de ses cinq doigts, il lui avait rendu la respiration plus facile, tout en lui faisant sentir que la pointe de son arme avait dû être aiguisée dans un dessein peu charitable.

Alors approchant ses lèvres de l’oreille attentive de l’aubergiste, il lui dit tranquillement à voix basse :

— Que mon frère au visage pâle n’ait point peur. — Soit dit en passant, la figure du cabaretier avait en ce moment la couleur d’un citron malade. — Dent-de-Loup ne veut point de mal à son frère. Que celui-ci regarde.

Le sauvage, lâchant la gorge de l’aubergiste, introduisit sa main gauche sous une ceinture de peau d’orignal qui lui ceignait les reins, et exhiba quelques