Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Le canot rasa sans bruit les bords silencieux de l’île d’Orléans où, à part les aboiements éloignés de quelque chien de ferme, tout semblait dormir. Car les habitants, terrifiés par le voisinage des Anglais, n’osaient pas même allumer de feu dans leurs demeures, tant ils avaient peur qu’un indiscret rayon de lumière, en se glissant au dehors, n’attirât quelques rôdeurs nocturnes.

Après une heure de marche, l’indien était en vue de la ville dont la cime du cap paraissait se fondre dans l’obscurité de la nuit. Quelques coups d’aviron l’amenèrent à la Pointe-à-Carcy qu’il doubla en entrant un peu dans la rivière Saint-Charles.

Arrivé à quelques brasses de terre, vis-à-vis de l’encoignure qui réunit aujourd’hui les rues Saint-Pierre et Saint-Paul, il rama quelques coups de l’arrière pour arrêter sa pirogue et tendit l’oreille.

Rien ne bruissait au proche, que le clapotement monotone des vagues sur la grève.

Rassuré, Dent-de-Loup dirigea doucement son canot vers la terre qu’il atteignit bientôt. Après avoir tiré son embarcation à sec, sur le sable du rivage, le Chat-Rusé se mit à ramper vers la ville, non sans jeter auparavant un regard scrutateur dans la nuit sombre. Aucun bruit ne trahissait ses pas, tant ils étaient bien mesurés ; de sorte qu’un blanc fût passé à dix pieds du sauvage sans se douter de sa présence.

Durant quelques minutes Dent-de-Loup longea le cap, et finit par s’arrêter près d’un endroit désert au dessous du lieu où l’on voit aujourd’hui le modeste édifice du Parlement Provincial.

Il doit être à peu près inutile de faire remarquer ici que la basse ville a subi depuis lors des changements innombrables ; car, à cette époque, il y avait à peine