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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Et, tout en faisant causer son homme, Boisdon parvint à savoir qu’il serait de garde le lendemain, à la même heure que la veille.

— Allons ! se dit Boisdon, en frottant ses doigts crochus d’un air satisfait, tandis que le soldat s’en allait plein de jus de la treille et de gaîté bruyante, je n’ai perdu ni mon vin ni mon temps.

La nuit parut doublement longue au cabaretier ; car en calmant son excitation, elle lui fit songer qu’il s’embarquait dans une affaire pouvant très-bien aboutir au pilori, à la prison, à l’amende… à l’amende surtout, ce qu’il craignait le plus au monde après sa femme.

Il resta longtemps éveillé entre la peur et l’avarice qui se livraient sous son crâne, un combat singulier. Enfin, la soif de l’or l’emporta vers le matin. « Quel danger puis-je courir ? s’était-il dit pour porter le coup de grâce à son indécision. Depuis l’arrivée du sauvage, on assiége la porte de sa prison pour le voir. Il ne se passe point de jour sans que les curieux aillent l’examiner du dehors par sa fenêtre. Pourquoi donc me soupçonnerait-on plus qu’un autre. Je saurai d’ailleurs si bien prendre mes précautions avec la sentinelle, qu’elle ne se doutera de rien. Put-il même, par la suite, avoir quelque soupçon sur mon compte, le soldat se gardera bien d’en faire part à personne, tant il craindra le châtiment qu’on lui infligerait pour avoir manqué à la consigne. Car si on tolère qu’il laisse ainsi les badauds regarder le prisonnier, il est certainement tenu de veiller de près à ce que personne ne puisse faciliter son évasion. »

— Allons ! allons ! Boisdon mon ami, vous n’êtes point si sot que votre femme le prétend, pensa-t-il en fermant les yeux pour inviter le sommeil.