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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

M. le comte y goûtera, et, qu’il ait seulement dix ans de moins que vous lui donnez, nous prendrons tout ce que vous en pouvez avoir. Car notre provision est épuisée.

— Ça me va, père Saucier, ça me va. À demain donc.

— À demain, répondit le cuisinier qui tendit la main à l’hôtelier d’un air de protection tant soit peu railleur.

Ce dernier sortit le cœur à la joie, et suivi de son fils qui l’ennuyait déjà par ses questions au sujet du sauvage. Mais Boisdon père était trop préoccupé pour répondre à Boisdon fils.

— Deux fois quatre font huit, grommelait l’avare. Et c’en est… bien sûr… Huit onces ! hum !

Et il hâta le pas pour regagner son logis.

Le même soir, Boisdon qui ne savait comment s’y prendre pour trouver le temps moins long, tant il avait hâte de voir arriver le jour suivant, était occupé à faire le coup de dés avec les quelques habitués du cabaret, lorsqu’il vit entrer le même soldat qui avait bien voulu lui laisser voir Dent-de-Loup.

— Bon ! pensa l’aubergiste, en voilà un que je n’attendais pas, mais qui n’en est pas moins le bienvenu.

Puis, allant au devant de lui ; il l’accabla de prévenances, l’abreuva largement d’un gros vin du goût de la soldatesque, et feignit de ne point s’apercevoir que le militaire lui payait seulement la moitié du prix ordinaire d’un écot. L’histoire n’en parle pas, mais je me sens porté à croire que Boisdon avait auparavant mis de l’eau dans ce vin.

Afin cependant de ne point faire naître de soupçons chez l’homme de guerre, il prit soin de lui laisser à entendre qu’il en agissait ainsi pour le remercier de la complaisance que le soldat avait eue à son égard.