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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

dit quelques mots insignifiants au soldat qui avait peine à s’empêcher de rire à la vue de la figure grotesque de notre homme, et il s’en alla rejoindre Saucier qui l’attendait ou plutôt ne l’attendait pas à la cuisine.

Le sauvage n’avait pas compris le mot « demain » ; mais il avait saisi le geste.

— Eh bien ? dit le cuisinier en voyant rentrer Boisdon, eh bien, est-ce de l’or, oui ou non ?

— Il faudrait voir ça de plus près, répondit ce dernier d’un air de doute.

— Ta, ta, ta, qu’on vous le donne et vous le prendrez bien les yeux fermés. Mais parlons d’autre chose : avez-vous du vin blanc de Grave ?[1]

— Oui, tonnerre ! et du bon !

— De quelle année ?

— De mil six cent soixante.

— C’est bon ! Apportez-en demain une bouteille ;

  1. J’ai longtemps cherché quels pouvaient être les vins que buvaient nos ancêtres, sans pouvoir trouver nulle part à ce sujet des données certaines. Tant qu’enfin, après avoir consulté nombre d’autorités, je m’étais vu contraint de m’en tenir à des probabilités. Les trois premiers feuillets de ce volume étaient même imprimés, lorsque des livres de comptes tenus par mon trisaïeul maternel, M. Jean Taché — le premier du nom en Canada — et négociant à Québec avant la conquête, me tombèrent sous la main. Quelle ne fut pas ma joie lorsqu’en feuilletant ces vieux manuscrits rongés de moisissures, j’y trouvai les noms des vins qui suivent, vendus par M. Taché à des particuliers, de 1734 à 1754 : Vin de Grave, rouge et blanc ; vin de Bordeaux ; vin de Chérès (Xérès) ; vin muscat ; vin de Rancio (vin rouge d’Espagne).

    Quant au vin de Champagne qui ne fut, comme on le sait, perfectionné qu’à la fin du XVIIe siècle par Dom Pérignon, il devait être fort peu en usage en Canada au commencement et même au milieu du dix-huitième siècle ; puisque de 1734 à 1754 je n’en trouve que quelques bouteilles achetées par certains riches Québecquois. Tandis que les vins de Grave, de Bordeaux et de Chérès se vendaient par barriques. Au nombre des boissons alcooliques, je trouve mentionnés en ces précieux livres le guildive (eau-de-vie de sucre) et l’eau-de-vie proprement dite.