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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

cette fois, semblaient vouloir fondre au feu de leurs regards les deux pépites d’or brut pendant aux oreilles de Dent-de Loup, celui-ci avait à son tour arrêté sa vue sur Jean Boisdon.

Ah ! Jésus-Seigneur ! marmotta ce dernier, ils pèsent au moins quatre onces chacun !

L’homme des bois ne comprit rien à ces paroles, et pourtant un éclair d’espérance et de joie brilla dans son ardente prunelle. L’homme de la civilisation déguisait si peu son étonnement et sa convoitise, que l’homme de la nature, le Chat-Rusé, avait deviné l’avare.

— Et, c’en est… du vrai ! continua de murmurer Boisdon en joignant les mains.

Ici, Dent-de-Loup fit un signe pour attirer l’attention de l’autre ; et, se voyant observé par l’aubergiste, il fit le geste d’un homme qui lime une matière dure ; puis son doigt indicateur toucha l’une des pépites d’or. Ensuite, il imita les mouvements de celui qui coupe quelque objet à l’aide d’un instrument tranchant ; et son index montra l’autre paillette d’or. Enfin il fit mine d’ôter les deux pendants d’oreilles et de les remettre à l’aubergiste. Pantomime qui voulait dire, et Boisdon l’avait parfaitement comprise : « Procure-moi une lime et un couteau, et cet or est à toi. »

L’avare jeta un rapide coup d’œil en arrière afin de voir si le soldat ne l’examinait pas. Complètement rassuré, il pencha son corps au dedans de la chambre, hocha la tête avec une lenteur qui laissait percer une indécision presque affirmative, mit un doigt sur ses lèvres et murmura le mot « demain. » Après quoi, donnant à sa physionomie l’air le plus bénin qu’il put trouver, maître Boisdon referma doucement la porte,