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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Ce qu’il y avait enfin de remarquable chez Jean Boisdon, c’était la tendance de ses doigts à se crisper sur tout ce qu’ils saisissaient ; et, comme notre aubergiste passait pour aimer plus ses écus que sa digne femme, dame Javotte, née Boivin, les médisants ne manquaient pas de dire que l’habitude de retenir et de compter au logis de son gousset les écus qui y entraient, était la seule cause de la difformité volontaire de ses doigts. Entre nous les mauvaises langues avaient bien un peu raison ; nous serons à même de le constater bientôt.

L’hôtelier avait la monomanie de thésauriser ; or ce genre de folie suppose l’existence d’un agent qui active et alimente à la fois cette gourmandise du métal, laquelle est la faim des avares. Cet agent est l’or, et Boisdon n’en manquait pas.

En effet, comme Boisdon, le père, avait longtemps abreuvé ses contemporains sans concurrence, il s’était amassé un certain magot que son digne fils ne songeait qu’à augmenter encore en continuant le négoce paternel.

Pour preuve de ce que les aubergistes d’alors avaient déjà une certaine vogue et qu’il s’y devait faire une assez bonne consommation de liquides, on peut lire une ordonnance de l’intendant Jacques Raudot, « fait à Québec, en son Hôtel, le dix-septième d’Août mil sept cent six. » Cette ordonnance commence ainsi :

« Ayant été informés des désordres qui arrivent tous les jours dans cette ville, à cause de la liberté que les cabaretiers et hôteliers se donnent de donner à boire toute la nuit ; pour remédier à cet abus : Nous ordonnons que tous les cabaretiers et hôteliers seront fermés à neuf heures du soir. » etc., etc.