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introduction

Alors, quand le soir je regagnais mon lit, il me semblait entendre, dans le vent de la nuit, le son prolongé des trompettes des hérauts sonnant la fanfare d’un tournoi. Et, lorsque le sommeil venait enfin mettre un terme à ces insomnies, je croyais quelquefois, dans un songe, ouïr les pas sonores des chevaux de hardis hommes d’armes ébranlant le pont-levis d’un antique donjon.

Par la suite, on emprisonna mes douze ans et mes rêveries dans les sombres murailles du collège. Passer, sans transition, d’une liberté presque absolue au sévère régime d’une captivité de dix mois, et de promenades forcées à travers les steppes arides de la syntaxe latine, en la maussade compagnie d’une caravane de pensums, c’était très-dur. Mais, comme il n’est pas de désert sans oasis, je trouvai bientôt moyen de passer des heures charmantes en l’aimable compagnie des livres que j’aimais tant. Que de fois alors n’ai-je pas, à la barbe du maître d’étude, battu les prairies et les forêts avec Bas-de-Cuir, le héros favori de Cooper, tandis que mes compagnons de misère se piquaient aux chardons du « jardin des racines grecques » ! Combien de fois, en classe, n’ai-je pas fait le coup de feu contre les sauvages du Mexique avec le Coureur des Bois de Louis de Bellemare, alors que mon maître biffait un onzième solécisme sur mon dernier thème latin, et que mon voisin de droite s’endormait doucement à la cadence monotone d’une décade rétive aux freins de la mémoire.