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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

— Il n’y a donc aucuns coups à donner ou à recevoir auprès de Montroyal, puisque tu es ici, commença Louis en emplissant le gobelet de son hôte d’un vin généreux.

— Eh ! mon cher, tu ne sais donc pas que la discorde et la petite vérole ont fait fuir de nos frontières messieurs les Anglais et leurs alliés sauvages, tout comme s’ils avaient eu nos épées dans les reins.

— Non !

François fit part à son ami des événements que le lecteur connaît déjà au sujet de l’avortement du projet de Winthrop.

— Mais il paraît, dit-il en finissant, que nous n’en serons pas quittes à si bon marché, puisque la flotte anglaise peut paraître devant nos murs de jour en jour.

— Tant mieux, répondit Louis. Car tu sais que les bonnes raisons ne me manquent point pour haïr les Anglais.[1] Aussi ai-je grande hâte de leur payer les dettes de vengeance que j’ai contractées envers eux.

— Tu vas être alors au comble de tes désirs, car ça va bientôt chauffer. Allons ! tant mieux ! mon épée commençait à se rouiller, bien qu’elle ait vu le jour, il n’y a pas longtemps encore, à la baie d’Hudson.

— Oh ! mais, à propos, tu me fais penser que je dois

  1. Je dois ici prévenir le lecteur que je ne prétends nullement réveiller de vieilles haines. Comme je veux peindre une époque, il me faut nécessairement la représenter telle qu’elle était ; c’est-à-dire avec ses antipathies et ses préjugés. Il n’y aura donc pas lieu de s’étonner si l’on voit mes personnages laisser percer, à chaque instant, leur animosité contre leurs ennemis, les Anglais, qu’ils avaient à combattre chaque jour. Si j’avais à écrire un roman de mœurs contemporaines, mes personnages y parleraient sans doute autrement ; et l’on n’y verrait pas, si je voulais rester dans le vrai, une jeune fille canadienne française dédaigner l’amour d’un jeune et brillant officier britannique. Autre temps, autres mœurs.