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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Le père des deux jeunes gens, M. le baron Raoul d’Orsy ayant hérité d’un patrimoine considérablement amoindri par les fastueuses dépenses de ses aïeux, n’avait pu éviter la ruine imminente qu’ils lui avaient ainsi préparée de longue main. Aussi, se voyant hors d’état de subvenir aux exigences de fortune que demandaient et son rang et son nom, s’était-il vu contraint de se défaire d’un petit manoir, en Normandie, qui lui restait pour tout bien, afin de réaliser quelque argent pour passer au Canada.

Car en quittant ainsi la France, il s’épargnait la honte de se voir dédaigné par le moindre gentillâtre à l’aise, et pensait pouvoir refaire assez facilement sa fortune en Amérique, alors le pays des illusions par excellence.

Sa femme était morte plusieurs années auparavant, lui laissant en souvenir de leur union, les deux enfants que nous allons bientôt connaître ; et comme il n’avait d’autres parents qu’une vieille tante, presque aussi pauvre que lui, il lui était donc moins pénible de laisser la France qu’on ne le pourrait croire de prime abord.

Ce fut en 1686… qu’il s’embarqua, avec son fils et sa fille, sur un vaisseau marchand, la Fortune, qui faisait voile de Saint-Malo pour Québec.

À peine étaient-ils en vue des côtes d’Amérique qu’un corsaire de Boston leur donna la chasse. Et, comme ce dernier était plus fin voilier que le vaisseau français, celui-ci se vit contraint d’accepter le combat.

La Fortune n’avait pour tout canon qu’une méchante coulevrine plutôt propre à tuer les artilleurs qui la servaient, qu’à faire tort à l’ennemi : tandisque le corsaire criblait la Fortune d’une grêle de boulets que vomissaient sans cesse ses douze bouches à feu.