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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

jeune maître pour venger sur les Iroquois la mort de M. de Sainte-Hélène. Vu la rumeur qui avait couru touchant la blessure dont Sainte-Hélène était mort, Pierre pensait bien que si la balle était empoisonnée, c’est que Dent-de-Loup l’avait fournie à Harthing qui avait dû s’en servir ; et comme Bienville avait tué ce dernier et que Bras-de-Fer croyait avoir occis le chef agnier, le Canadien voulait venger sur la nation entière des Iroquois la mort de son maître. Il avait donc laissé de nouveau la charrue pour faire une terrible hécatombe d’Iroquois et apaiser ainsi les mânes de Sainte Hélène. À force de vivre dans les bois, Pierre avait pris quelques-unes des idées de leurs habitants.

La nuit s’était couchée sur le hameau de Lachenaye, quand la troupe des volontaires canadiens laissant la grande place de l’église, défila devant le cimetière, silencieuse comme une fantastique procession de morts. Ordre avait été donné par M. de Vaudreuil que chacun eût à garder le plus stricte silence durant toute la marche.

Allègre et joyeux Bienville contenait à grand’peine en cheminant les transports de sa joie. Mais si la consigne le forçait de garder le silence, il n’en donnait pas moins cours à un muet monologue où sa pensée se jouait comme un papillon sur des fleurs.

— Que le bonheur est suave après tant de souffrances ! pensait-il. Et toi, mon cœur, qui étais désaccoutumé d’aimer, comme je te sens de nouveau battre d’aise au seul nom chéri de Marie-Louise ! Ah ! je le vois bien, ce trésor de tendresse, cet infatigable besoin d’aimer, Dieu ne me les avait pas donnés pour rien. Il a seulement voulu les épurer au creuset de l’épreuve pour me rendre plus digne de