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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

leurs mystérieux friselis. On aurait dit le bruissement d’armes et de pas d’une aérienne armée de preux qui seraient venus au devant de l’âme du guerrier mort pour l’escorter au ciel.

Quand le prêtre eut fini de réciter les prières, la compagnie de marine, qu’avait si vaillamment commandée Sainte-Hélène, s’approcha de la fosse où la bière était descendue. Les mousquets s’inclinèrent vers la tombe, et l’on tira la salve d’honneur, dont les détonations allèrent expirer au loin dans les vaporeuses Laurentides.

Et comme la première pelletée de terre tombait sur le cercueil, on entendit les voix du cloître qui chantaient dans la chapelle la dernière phrase du De profundis.

Très-faible enfin, la voix de la novice modula le miseremini dont la dernière note vint mourir dans les herbes desséchées du cimetière, ainsi qu’un mélodieux sanglot.

C’était le suprême adieu de Marie-Louise et de Bienville à ce qu’ils avaient aimé.

Ô vous ! qui me lisez, vous avez été jeune ou vous l’êtes encore. Avez-vous jamais éprouvé les horribles tourments de l’amour déçu ? Oh ! alors, dites moi, mon frère, n’est-ce pas chose atroce que de sentir ainsi lacérer son cœur comme par la griffe aigüe d’un vautour, et de voir ses plus chères illusions dépeupler son âme une à une, pour s’envoler par lambeaux au vent glacé de la réalité ? Oh ! n’est-ce pas que c’est navrant de se dire à vingt ans. « Je n’ai connu de l’amour que la crainte et les larmes ! À peine suis-je encore sur le seuil de la vie, que le malheur jaloux me frappe de son gantelet de fer comme pour m’en repousser ! »