Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Ici le noble comte s’arrêta, dominé par l’émotion que lui causaient ces tristes souvenirs. D’un côté la blafarde lueur de la lanterne sourde et de l’autre la pâle lumière de la lune, qui pénétrait par la croisée, éclairaient ses traits mâles et fiers. Et Bienville put voir une larme rouler de l’œil, et se perdre dans les sillons que de longues souffrances avaient labourés sur la grande figure du comte de Frontenac.

Après quelques instants de silence, le comte reprit d’une voix ferme :

— Vous voyez donc, mon cher Bienville, que la fortune m’a traité plus durement que vous encore. Vous êtes jeune et libre, et puisque Mlle d’Orsy entre en religion, vous pourrez en aimer une autre que Dieu destine à vous rendre heureux. Ah ! n’allez pas vous récrier ! Je sais bien que vous n’y songez pas maintenant ; mais enfin, je crois que vous en viendrez naturellement là. Dussiez-vous cependant renoncer à tout jamais au mariage, il ne faudrait pas même en ce cas vous désespérer inutilement. Vous avez un grand cœur, je le sais ; eh bien ! sachez vous créer une idée, un but qui le remplisse en quelque sorte. Croyez-vous que je n’aurais pas succombé depuis longtemps sous les coups du sort, si je n’avais une pensée dominante propre à me distraire dans mes peines ? Chargé par le roi mon maître de veiller à la destinée de cette colonie, j’use les derniers jours de ma vie à son agrandissement. Plus la tâche est ardue, plus la fin est difficile à atteindre, et plus satisfaisante est la joie que nous cause le succès. Vous êtes militaire, intelligent et brave ; d’ailleurs remplie d’émotions, la carrière des armes offre un vaste champ à de nobles aspirations. Continuez donc à vous distinguer et soyez certain que mon amitié pour vous