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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Quelques mois à peine s’étaient écoulés depuis qu’on avait accepté notre mariage que déjà l’indifférence de la comtesse ne se déguisait plus à mes yeux. Et cependant, Dieu m’est témoin que je ne l’ai jamais provoquée. Auprès d’elle toujours empressé, je ne m’étudiais qu’à lui plaire ; et mon amour pour madame de Frontenac n’avait fait que grandir quand je m’aperçus que le sien avait diminué tout d’autant. Ah ! c’est alors que je souffris des tortures d’autant plus fortes que je savais ne les avoir pas méritées. Bientôt même l’inconstante ne fit un mystère à personne de l’éloignement quelle ressemait pour moi.[1] Depuis lors, jamais un mot, pas même un regard d’elle ne sont venus dérider mon front dans l’amer délaissement où elle m’a jeté. Dégoûté d’une vie si pénible, j’allai chercher la mort sur maints champs de bataille, en Flandre, en Allemagne, en Piémont et jusqu’en Orient, mais sans pouvoir l’y trouver nulle part.

Lorsqu’on 1672 je fus nommé pour la première fois gouverneur du Canada, ma femme refusa de m’y accompagner. Même, dix ans après, le roi m’ayant rappelé en France, la comtesse me reçut aussi froidement que si je l’avais seulement quittée de la veille ; et, durant les sept années qui suivirent, je lui fus pis qu’un étranger. L’an dernier enfin, préposé une seconde fois au gouvernement de la Nouvelle-France,

  1. Je renvoie le lecteur, curieux du connaître les détails de la vie intime du comte et de la comtesse de Frontenac, aux mémoires de Mlle de Montpensier dont madame de Frontenac était dame d’honneur. Il y est rapporté, entre autres, une très-curieuse anecdote qui donne une idée de ce qu’était la vie conjugale en France au XVIIe siècle. Voir les mémoires de Mlle de Montpensier, à la page 164 et suivante du vingt-septième tome de la « nouvelle collection de mémoires pour servir à l’histoire de France. »