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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

que Mlle d’Orsy vous est chère, et que cette femme, foulant aux pieds votre amour, eût cessé de vous donner la moindre marque de tendresse dès les premiers jours de votre mariage ? Bienville, je vous ai toujours considéré comme un fils — hélas ! j’en avais un autrefois, mais le ciel m’a même retiré ce dernier sujet de consolation[1] — écoutez donc cette confidence qui devra mourir avec vous.

De l’autre côté des mers, là-bas, dans ma chère France, vit une femme aussi belle qu’indifférente. En la faisant si parfaite de corps, Dieu voulut la dédommager, sans doute, du peu de sentiment dont il la voulait gratifier. Un jour, que j’ai cent fois maudit, ma fatale destinée me jeta sur sa voie. En la voyant, je l’aimai. Nul doute que je lui aie plu aussi d’abord, car elle répondit à mes vœux et consentit à m’épouser en secret. Son père, M. de la Grange-Trianon ignorait encore notre mariage, lorsqu’il s’avisa tout-à-coup de s’opposer à la suite de nos amours qu’il avait paru favoriser jusqu’alors. Madame de Frontenac répondit qu’elle n’aurait jamais d’autre époux que moi. Irrité, M. de la Grange-Trianon la força d’entrer au couvent. C’était le premier échec à mon bonheur. On la rendit pourtant bientôt à mes désirs lorsqu’elle eut avoué notre union. J’aurais dû m’attendre, n’est-ce pas, que cette séparation augmenterait l’ardeur de son attachement pour moi. Il n’en fut rien pourtant.

  1. « Anne et le comte eurent un fils, enfant unique qui périt dans la fleur de la jeunesse. Les uns rapportent qu’il fut tué à la tête d’un régiment qu’il commandait au service de l’évêque de Munster, allié de la France ; les autres disent qu’il périt misérablement dans un duel » Alfred Garneau. « Les seigneurs de Frontenac, » Revue Canadienne de 1867.