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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

— Pauvres oiseaux de remémoration d’un temps qui n’est plus, disait-il alors, je ne saurais vous donner traîtreusement du plomb sous l’aile, quand vous m’apportez de si douces souvenances. Venez, petits, revenez encore gazouiller sur le nid de mémoire, et que le duvet de vos plumes réchauffe aussi mes idées qui se glacent au vent froid de la réalité.

Mais soudain venait s’abattre sur eux l’oiseau de proie du malheur. Oh ! comme ils fuyaient alors à tire-d’aile, en poussant des cris plaintifs, ces pauvres oisillons tout meurtris par la serre du vautour.

Ce qu’il souffrait en ces moments, le triste délaissé, ne saurait être dit ; car tout ce que ses souvenirs avaient de charme dans le passé n’en rendait que plus poignantes les angoisses du présent.

Deux semaines se passèrent ainsi sans qu’on pût pénétrer jusqu’à Bienville.

Comme on avait pu constater pendant ce temps que les Anglais étaient réellement partis et qu’il n’y avait plus de crainte de les voir revenir à l’improviste, la saison étant trop avancée, le gouverneur se résolut à renvoyer chez elles les troupes de Montréal.

Le soir qui précéda leur départ, M. de Frontenac donna un grand dîner à ses officiers. Bienville, qui s’était fait excuser auprès du comte pour n’y point assister, put ouïr de sa chambre la joie et les rires de ses compagnons d’armes durant tout le repas qui se prolongea bien avant dans la nuit. Le cliquetis des verres et les éclats de voix des convives lui causèrent un supplice indicible. Car la souffrance a pour effet de rendre égoïste, et dans nos heures sombres, le plaisir d’autrui nous irrite et nous rend nos maux encore plus insupportables.