Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

m’estimez pas assez pour supposer que s’il me faut renoncer à une union si chère à mon cœur, j’y dois être forcée par des circonstances extraordinaires. Attendez un peu pour me juger, que je vous aie d’abord exposé les motifs de ma conduite ; et, si étrange qu’elle vous puisse sembler maintenant, vous conviendrez sans doute ensuite que loin de mériter vos reproches, j’ai plus que jamais droit à votre entière sympathie !

L’attitude de Marie-Louise était si douloureuse et si noble à la fois, que Bienville se sentit malgré lui subjugué. Il est aussi vrai de dire qu’il s’attendait si peu à rencontrer des obstacles, qu’il demeura comme anéanti sur son siège, et incapable de faire un mouvement ni de dire un seul mot.

Marie-Louise continua donc, mais avec des accents déchirants dans la voix et des pleurs dans les yeux :

— Rappelez-vous, monsieur, les lugubres événements qui se passaient, il y a trois jours, dans cette même chambre où nous sommes. Vous veniez de me ramener mon frère presque mourant de sa blessure. Il était là, traîtreusement frappé, luttant pour sa vie contre un mal atroce et mystérieux. Le médecin venait de se croiser les bras, impuissant qu’il se sentait d’intervenir en ce combat suprême. Il avait même prononcé, Louis devait mourir. Vous vous souvenez qu’alors j’allai me jeter au pied de ce crucifix et que j’y priai longtemps. Cet affreux malheur qui planait sur moi, me rappela les scènes horribles des jours précédents, et, comme un éclair, cette pensée terrible traversa mon âme quand je tombai à genoux : n’étais je pas la cause de la mort de mon frère ? N’était ce pas moi, que ce misérable Harthing avait voulu frapper par la main de son agent ? Moi la