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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Ceci avait lieu le matin dit vingt-trois octobre, un lundi.

Quand le digne marchand arriva à la ville haute, tout y semblait en mouvement. Officiers et soldats, militaires et bourgeois, tous couraient par les rues, s’appelant les uns les autres, se serrant les mains et riant aux éclats. Les femmes, en toilette des plus matinales, allaient d’une maison à l’autre, le teint très-animé, la langue aussi. Il n’était pas jusqu’aux chiens qui n’aboyassent à l’envie, excités qu’ils étaient par cette joie bruyante qu’une bonne fée semblait avoir secouée durant la nuit sur cette ville si sombre et si peu riante depuis le commencement du siège.

Au château, M. de Frontenac se tenait sur la terrasse, entouré d’un groupe d’officiers non moins joyeux que les bourgeois de Québec.

— Le voilà donc qui s’enfuit cet arrogant amiral, disait un officier gascon. Sont ce là les résultats de ces grands airs de croque-mitaine que trahissait sa sommation ? Vous avez donc eu peur de nous, monsieur le mangeur d’enfants ?

Le gouverneur regardait les dernières voiles des vaisseaux anglais. Elles s’éloignaient entre la Pointe-Lévis et l’île d’Orléans, et disparaissaient graduellement dans les derniers flocons de brume qui remontaient dans l’espace aspirés par le soleil.

C’était par l’ordre du comte qu’on avait tiré le canon et sonné les cloches en signe de réjouissance.

Et certes, il y avait bien lieu d’être content de la prompte retraite des Anglais. Car outre le danger qu’on avait couru d’être conquis par un ennemi bien supérieur en nombre, la famine sévissait déjà dans