Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

— Eh bien ! comment va monsieur le baron ? demanda-t-il en s’approchant du lit.

— Assez bien, merci, comme vous voyez, répondit Louis d’Orsy.

Surpris d’un changement aussi prompt, M. Coupnet tâta le pouls du patient en hochant la tête.

— Oui, sauvé ! dit-il… La force de la jeunesse et de la constitution… la nature enfin… Je m’en doutais !

Quand le chirurgien fut parti, Marie-Louise s’en alla dans sa chambre où elle s’enferma. Puis s’affaissant sur son lit, ce propret lit de jeune fille, muet témoin de ses rêveries virginales et de ces premières pensées d’amour que les anges, le soir, laissent tomber en blancs essaims sur le chevet des vierges, elle fondit en larmes.

— Ô mon Dieu ! dit-elle, soyez mille fois béni d’avoir exaucé ma prière, et ne vous irritez pas d’un chagrin dont ma faiblesse est seule cause. Ce n’est pas mon sacrifice même qui m’arrache ce tribut de pleurs payé à la nature, mais bien plutôt la soudaineté qui m’a fait l’accomplir… Oui ! vous êtes témoin, Seigneur, que pour conserver la vie à mon frère, je suis encore prête à immoler mon amour. Et pourtant vous seul pouvez savoir ce qu’il m’en a coûté, ce qu’il m’en doit coûter encore pour rompre avec ce bonheur dont j’avais tant hâté de mes vœux la venue !… Ah ! mon Dieu ! je ne croyais pas l’aimer autant !… Mais loin de moi ces funestes pensées. Puisque j’ai eu la force de songer au sacrifice, il me faut avoir en outre celle d’en braver l’accomplissement !

Alors, elle se laissa glisser les deux genoux en terre, et levant vers le ciel des yeux où les pleurs semblaient protester contre ses paroles :