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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

assises du roc devaient, en surplombant, garantir la flamme contre les atteintes de la pluie qui, à l’estimation de l’homme des bois, ne tarderait pas beaucoup à tomber.

Mais Dent-de-Loup attendit encore, et se recoucha dans l’ombre pour ne point donner de point de mire au projectile du rôdeur nocturne que le hasard ou la lueur du feu pourrait amener en cet endroit désert. Il eut soin aussi de placer son mousquet à portée de main.

Enfin, sur les onze heures, Dent-de-Loup se leva. Après avoir jeté quelques brassées de bois sec sur le feu dont la flamme ainsi activée jetait des clartés fauves sur les rives escarpées, il prit une coupe d’étain qu’il avait apportée du camp anglais et se rapprocha de la rivière.

Celle-ci mugissait à plus de vingt pieds au-dessous de lui, et ses abruptes bords semblaient rendre impossible l’approche de tout profane. Mais l’Iroquois qui ne faisait rien sans réfléchir auparavant, avait remarqué qu’un grand pin nouvellement tombé en travers du torrent, pouvait servir de pont d’une rive à l’autre, tandis que ses longues branches, encore vertes et très-solides, descendaient jusqu’au fond du gouffre.

— À cette heure des ténèbres, murmura le sauvage, l’eau vive du torrent doit avoir plus de force pour distiller les poisons.

Et il se glissa sur le tronc d’arbre. Avisant une très-forte branche qui descendait jusqu’à l’eau dont le brusque passage la faisait osciller, le Chat-Rusé s’y cramponna d’une main et se laissa descendre vers l’abîme. C’était comme un de ces rêves fantastiques que le conteur allemand Hoffman écrivait entre les