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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

Nos dignes gentilshommes, dont l’appétit était parfaitement en harmonie avec la bonne ordonnance du repas, mangèrent quelque temps en silence pour étourdir la grosse faim. Alors, le major qui venait de battre en brèche, et avec grand succès, un second bastion de pâté, s’adressant au gouverneur :

— Je dois vous apprendre, monsieur le comte, lui dit-il, que j’ai donné ordre aux milices des deux rives, en bas de la ville, de se rendre à Québec avec la plus grande diligence.

Fort bien ! major. Et qu’avez-vous fait pour la défense de la place ? demanda M. de Frontenac tout en suçotant avec délices un aileron de pluvier.

— Voici, monsieur le comte. J’ai fait planter des palissades depuis le palais de M. l’intendant, en remontant jusqu’à la cime du cap. Ces ouvrages sont défendus aux extrémités et au centre par trois petites batteries. Nous n’avons, comme vous savez, que douze pièces de gros canons[1] ; j’en ai mis neuf en batterie à la haute ville, réservant les trois autres pour défendre les quais de la basse ville, qui sont aussi protégés par plusieurs pièces de petit calibre. En outre, vous avez vu, en arrivant, que la montée du port à la rue Buade est traversée par trois lignes de barriques remplies de terre et de pierres, et garnies de chevaux de frise.

— Bravo ! major ; Vauban ne ferait pas mieux ! Mais savez vous, Messieurs, que c’eût été mille fois tant pis pour nous, si les Anglais étaient arrivés ici trois jours plus tôt.

— Oui, d’autant plus que nous avons commencé nos travaux de fortification seulement avant-hier.

  1. La Hontan, lettre XX, 1691.