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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

l’Anglais satisfait d’un tel avantage, il faut retarder un peu l’exécution des autres. Car si tu avais tué d’abord quelques français, nous ne pourrions maintenant nous introduire dans la place ; et pour un ou deux ennemis que tu aurais occis, au grand risque de ta propre vie, il nous devenait impossible d’empoisonner les jours de ceux qui vont bientôt ressentir les effets de notre colère. Or ces derniers souffriront plus et pour un plus long temps de la catastrophe qui les va frapper par notre main, que les quelques malheureux que tu aurais massacrés et dont la peine se serait terminée avec la mort.

— Le manitou de la vengeance parle par ta bouche, repartit l’Agnier convaincu.

— Mais une fois la jeune fille enlevée, dit Harthing en terminant, je jure à mon frère, sur les mânes sacrées de mes aïeux, que loin d’arrêter le couteau du chef sur le cœur d’un ennemi, je l’aiderai moi-même à l’y enfoncer plus profondément encore !

Le serment fait par Harthing et que les sauvages ont toujours regardé comme inviolable, rendit toute confiance à Dent-de-Loup. Il tendit à l’Anglais sa main et dit :

— Le cœur du visage pâle est franc comme ses paroles et ces dernières sont une douce musique aux oreilles du chef. Mais allons et réparons le temps perdu.

Harthing ne demandait pas mieux et s’efforça de suivre de près le sauvage qui se dirigeait déjà d’un pas rapide vers la grève de la rivière Saint-Charles. Les épais mocassins qui chaussaient leurs pieds étouffaient le bruit de leurs pas et diminuaient de beaucoup le danger où ils étaient d’être entendus de quelque rôdeur ennemi.