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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

ses censitaires qui le chargent sur leurs épaules pour l’emporter hors du champ de bataille.

J’avertis plusieurs fois M. de Clermont, qui nous avait suivis comme volontaire, de ne pas trop s’exposer à la vue des ennemis, et de se cacher derrière un arbre ou une butte pour tirer plus sûrement et sans danger. Mais l’imprudent jeune homme ne m’écoute point ; aussi reçoit-il une balle qu’un damné Iroquois — ah ! si jamais je le rencontre, ce particulier-là !… — lui envoie en pleine poitrine ; puis il vient tomber dans mes bras en me disant d’une voix à faire pleurer : « Mes adieux à mon père… à Bienville… à d’Orsy »… Et il meurt.[1] Je le charge sur mon dos et l’emporte au travers du bois avec moi.

Quand je rejoignis les autres, une balle venait de casser le bras au seigneur Juchereau.[1] Mais le vieux capitaine, qui est aussi brave que l’épée du roi, n’a pas voulu quitter son poste ; et il a continué de commander à ses hommes, tandis que son bras droit pendait sans vie à son côté.

On s’est ainsi battu jusqu’à six heures, fusillant l’Anglais qui n’osait s’engager dans les bois à notre poursuite. Alors un corps de troupe, envoyé par le gouverneur, est venu appuyer notre retraite qui s’est faite en combattant toujours ; car les ennemis, qui cherchaient, sans doute, un lieu de campement, ne se sont arrêtés qu’à la ferme où vous voyez leurs feux.

Après avoir retraversé la rivière Saint-Charles, je fis un brancard et emportai, avec mes camarades, le corps de M. de Clermont jusqu’à l’Hôtel-Dieu où on l’a laissé pour y être enterré.

  1. a et b Historique.