Page:Marmette - François de Bienville, scènes de la vie canadienne au 17è siècle, 1870.djvu/160

Cette page a été validée par deux contributeurs.
163
FRANÇOIS DE BIENVILLE.

s’avança vers ce dernier avec une hache rougie au feu et qu’il lui appliqua tranquillement sur la poitrine mise à nu.

— Quarante mille tripes de démons ! s’écrie Pierre qui ploie son corps en deux, et, le relevant d’un puissant effort, arrache de terre le poteau qui le retient et rompt les liens dont il est garrotté. Et, saisissant le pieu, il en assomme quatre sauvages sur place en tout autant de tours de mains. Tandis que les autres Iroquois épouvantés croient sans doute avoir affaire à quelque manitou redoutable, Pierre rend son frère à la liberté et reprend le chemin du pays.

Il était né à Beauport en 1655 d’un pauvre cultivateur de l’endroit. À douze ans, se voyant l’aîné d’une dizaine de marmots dont le nombre ne paraissait pas devoir en rester là, grâce à la jeunesse[1] de dame Martel et à la vigueur de monsieur son père, Pierre quitta la maison paternelle et alla prendre du service à Montréal chez M. Charles LeMoyne, père de notre héros François de Bienville.

Il y demeura jusqu’à l’âge de vingt-six ans, partageant quelquefois les jeux et souvent les escapades des fils aînés de M. LeMoyne, ou berçant sur ses genoux les plus jeunes, à mesure qu’ils arrivaient. Dame ! était-il fier, aussi, de dire à quiconque voulait l’entendre, qu’il avait couru les bois avec MM. d’Iberville, de Sainte Hélène, et de Maricourt, à l’insu de leurs parents, alors qu’ils étaient trop jeunes encore pour le faire sans un

  1. Les filles se mariaient alors très-jeunes en Canada, et il n’était pas rare de voir en ce temps-là une jeune mère âgée seulement de treize à quinze ans.