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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

corps, qu’il fallait du temps, voire même de la patience, pour l’en faire sortir. Mais une fois irrité, il était terrible. On ne se souvenait de l’avoir vu fâché qu’en deux occasions seulement, et voici ce qui s’en suivit.

Il labourait un jour certain champ pierreux et accidenté avec deux bœufs dont l’un traînait la charrue pour la première fois. Ce dernier dont la jeunesse et l’ardeur s’alliaient mal avec la marche lente et grave de son vieux compagnon était toujours hors de la voie, et de plus, marchant lorsqu’il fallait arrêter ou s’arrêtant quand il aurait dû avancer. Pendant tout le jour, Pierre l’avait plus ou moins contenu au moyen de l’aiguillon, sans qu’aucun mouvement de colère démentît sa patience. Mais l’animal récalcitrant ayant, sur le soir, cassé tout-à-coup le joug qui le retenait à la charrue, Pierre finit par s’impatienter, et, de sa main gauche, le saisissant par une corne, il lui asséna de la droite le plus formidable coup de poing qui ait jamais broyé le front d’un taureau. L’animal tomba mourant aux pieds du jeune homme étonné seulement d’avoir mis un tel emportement dans sa correction. C’est alors qu’on lui donna le surnom de Bras-de-Fer.

Six ans après, lors d’une course à travers les forêts, Pierre, devenu coureur des bois, fut fait prisonnier avec un jeune frère à lui, par dix Iroquois qui rôdaient dans les environs du lac Champlain, près duquel ils chassaient tous deux. Sur le soir, les sauvages lièrent leurs captifs à deux poteaux de chêne solidement plantés en terre ; et, jugeant que Pierre, le plus robuste des deux, souffrirait plus longtemps la torture, ils le gardèrent comme pour le dessert. Commençant donc par son frère, l’un des sauvages