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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

voulurent compter leurs pertes ; mais pas un soldat ne manquait à l’appel, et, à part quelques blessures et contusions, les boulets ennemis avaient autant respecté les hommes que les propriétés.

En attendant qu’on les vînt relever de service, les officiers et les soldats causaient entre eux.

Assis à terre, auprès des canons, les artilleurs de Maricourt, le brûle-gueule aux lèvres, fument en échangeant des quolibets sur la maladresse montrée pendant la journée par les Anglais.

Mais ils ne parlent qu’à voix basse, vu que les vaisseaux ennemis ne sont pas loin de terre et que le canon rapproche d’ailleurs singulièrement les distances. Bien que la nuit soit froide, on ne leur a point permis d’allumer de feu, de peur que l’ennemi ne s’en serve comme d’un point de mire. Aussi sont-ils tous plongés dans une obscurité tempérée seulement par la lumière des étoiles, et ne présentent-ils tous au regard que des groupes indécis et se mouvant dans l’ombre. Parfois cependant, le feu de quelque fourneau de pipe, venant à percer la cendre du tabac embrasé, jette une lueur fugitive sur la figure accentuée de l’un d’entre eux.

MM. de Maricourt, de Bienville et d’Orsy, appuyés tous trois sur un affût de canon, devisent à voix basse.

— Il y a maintenant une couple d’heures que la mousquetade a cessé là-bas, dit Maricourt.

— Oui, répond Louis d’Orsy ; mais le silence régnant partout depuis, il est difficile de conjecturer si l’ennemi a pris position sur terre ou s’il a été forcé de se rembarquer.

— Regardez donc, interrompt Bienville dont les yeux sont fixés depuis quelques moments dans la