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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

s’opposait à ce qu’on y pût marcher à l’ennemi sans danger.[1]

Il serait impossible de bien rendre les accès de rage folle qui agitèrent Harthing durant tout ce temps. Certain que sa lettre avait été remise à Mlle d’Orsy la veille au soir, il sentait bien que ce message n’était pas de nature à lui concilier l’affection de la jeune fille et qu’il ne lui restait plus de recours, pour parvenir à ses fins, qu’en la réalisation de ses menaces. D’ailleurs, il avait besoin de mouvement pour s’étourdir ; et il était là, cloué sur un écueil, dans une complète inaction. Il appelait l’assaut de tous les vœux de son âme ; et, loin de pouvoir y monter, il était, pour ainsi dire, assiégé lui-même, et exposé à tomber sous la fusillade que l’on entretenait du rivage contre le bateau qui le portait.

— Par Satan ! grommelait il, les éléments vont-ils donc se joindre aussi à tous les obstacles contre lesquels il me faut déjà lutter ! Quelle puissance occulte te protège donc, Marie-Louise d’Orsy ! ou quels démons acharnés contre moi me lient ainsi de leurs chaînes de fer ! Tout semble conspirer contre moi : destins, préjugés, patrie, nature, ciel, enfer, tous me meurtrissent et m’écrasent et semblent s’égayer de ma longue agonie avant que de jouir de mon dernier râle ! Oh ! allez ! allez toujours ! car je suis fort encore et serai lent à mourir !

— Oh ! que je l’aime ! ajoutait-il ; mais que je souffre au cœur !… J’ai du feu dans les veines !… mon crâne éclate !… Torture !… Malédiction !…

Et ce supplice, d’autant plus insupportable qu’il était concentré, dura trois heures.

  1. Historique.