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FRANÇOIS DE BIENVILLE.

seule, mademoiselle, avez pu faire vibrer les fibres d’un cœur toujours insensible sous tout autre regard que le vôtre. En vain ai-je voulu étouffer en moi votre souvenir par les moyens les plus énergiques, et souvent, hélas ! les plus opposés à ce culte idéal que je vous avais voué ; non-seulement je n’ai jamais pu l’éteindre, mais encore a-t-il vaincu ma force et ma fierté blessée. Sans cesse ni relâche, ce souvenir me poursuit le jour, et, quand vient la nuit, il se suspend à mon chevet pour se glisser dans chacun des rêves qui passent sur mon front brûlant. Il me tuera, sans doute !

« Le seul fait de vous avoir écrit vous prouvera que j’ai cessé, de guerre lasse, cette lutte impossible contre moi-même. Aussi dois-je avouer que je ressens, plus que jamais, l’affreux malheur de vous être non-seulement indifférent, mais presque odieux.

« Car, tant que j’opposai résistance à cet entraînement, les raisons que je trouvais pour me persuader de la démence de ma passion, me forçaient de rompre avec toute espérance ; je voyais de refuge seulement dans la mort que je cherchais partout, sans qu’elle vînt jamais.

« Mais maintenant qu’un hasard — l’appellerai-je heureux — ? me rapproche de vous, maintenant que je ne combats plus parceque, peut-être, j’incline à espérer encore, je souffre horriblement à la seule pensée qu’un autre que moi vous pourra posséder.

« Car je sais que vous aimez un jeune Canadien nommé Bienville. Oh ! qu’il est heureux, celui-là ! et que je l’exècre ! »

— Je te le rends bien, va ! interrompit François.