Page:Marmette - Charles et Éva, 1945.djvu/153

Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
deux rencontres

plus bizarre, de plus fantastique, que les visions sans nombre qui assiègent l’homme ainsi tourmenté par la misère et par la faim, portées à leur plus haut degré. Je connais moi-même un pauvre diable qui, surpris par un fort mauvais temps, s’égara pendant l’hiver dans les bois situés au sud du village de Montmagny. Après avoir marché à l’aventure toute une nuit et la moitié du jour suivant, changeant sans cesse de directions, décrivant mille circuits, il tomba enfin épuisé de fatigue et de faim, croyant bien que son heure était arrivée et que son biscuit était fait. Alors vint pour lui cet état de torpeur physique et morale que nous nous sommes efforcés de décrire plus haut. Tout ce que l’imagination peut se figurer de beau et d’effroyant, de sublime et de terrible, tout ce que le ciel, la terre et l’enfer peuvent produire de merveilles, de délices et d’horreur, passa devant ses yeux « bien ouverts » comme la suite non interrompue des images d’une lanterne magique. Il vit des anges, des hommes de toutes figures, des animaux de toutes espèces, les mets les plus succulents et les vins les plus recherchés. Le malheureux passa ainsi une partie de la journée