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LA RÉVOLUTION RUSSE

l’assaut des positions fortifiées on le jetait par masses sur les fils de fer barbelés : le terrain nivelé, les armées suivantes passaient sur les corps ! O sainte et héroïque soumission des armées russes !… Mourir avec de telles aggravations de douleurs, n’est-ce pas mourir plusieurs fois ?…

Et voici que tout à coup, à ces hommes, à ces grands enfants qui ont tant souffert, — et sans savoir pourquoi, — on annonce la liberté et la paix !…, D’abord, c’est la surprise, le doute ; puis une sorte de délire s’empare d’eux ; ils oublient les maux passés, leur cœur déborde d’amour et de mansuétude. Subjectifs, ils prêtent leurs propres sentiments à leurs ennemis. « Comme nous, sans doute, ils se battaient à contre-cœur et par obéissance. Allégeons-les vite de ce fardeau ; déclarons-leur que désormais tous les hommes sont frères !… » Hélas ! c’est, retournée, la fable du Coq et du Renard.

Les Allemands n’ont eu garde de laisser tomber cette avance naïve. En hâte ils constituent des régiments de fraternisation, formés d’hommes parlant plus ou moins le russe. On se visite de tranchée à tranchée ;