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UNE SEMAINE D’OURAGAN RÉVOLUTIONNAIRE

verse une crise : elle en sortira. Milioukov saura se retirer s’il le faut…

Vers quatre heures M. Michel arrive. Je n’attendais que lui pour me mêler à la foule qui, malgré les menaces de fusillade, s’est remise à parcourir les rues. J’ai quitté le lointain quartier où j’ai vécu les premiers jours de la révolution, pour m’établir dans une rue perpendiculaire à la Newsky et où je sens battre de plus près le cœur de la grande et orageuse cité. En trois minutes, nous atteignons la Perspective. Moins les drapeaux, elle présente le même spectacle que la veille. Les orateurs y continuent leur propagande. Et je songe à ce qu’écrivait le marquis de Custine dans son livre, trop peu lu, La Russie en 1839 : « Les nations ne sont muettes qu’un temps ; tôt ou tard le jour de la discussion se lève : la religion, la politique, tout parle, tout s’explique à la fin. Or, sitôt que la parole sera rendue à ce peuple muselé, on entendra tant de disputes que le monde étonné se croira revenu à la confusion de Babel. » Paroles prophétiques ! Dès qu’il a touché le pavé de la rue, tout homme, ici, se mue en orateur. Ce qui me surprend, c’est que la masse sait