Page:Marivaux - Théâtre complet (extraits), 1967.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre ma marque au contrat, faute de savoir signer.
LA VALLÉE : Ma foi, gardez votre marque, ma tante. Je ne sais qui vous êtes. Attendez que notre pays m’en récrive.
JAVOTTE : Vous ne savez pas qui je suis, Giroux ? Ah ! ah ! voyez le glorieux qui recule déjà de m’avouer pour sienne parce qu’il va être riche et un monsieur ! Prenez garde que je ne dise à Mademoiselle ma nièce que vous faisiez l’amour à Mademoiselle Agathe !
MADEMOISELLE HABERT : L’amour à Agathe ! (À Agathe.) Est-il vrai, Mademoiselle ?
AGATHE, à Javotte : Ne vous avais-je pas recommandé de n’en rien dire ?
LA VALLÉE : Eh ! cet amour-là n’était qu’un équivoque.
MADEMOISELLE HABERT : Ah ! fourbe. Voilà l’énigme expliquée ; je ne m’étonne plus si Mademoiselle me demandait tantôt mon amitié ; c’est qu’elle croyait que c’était elle qu’on mariait !
JAVOTTE : Bon ! n’a-t-il pas offert d’épouser notre dame, si elle voulait de sa figure ?
MADEMOISELLE HABERT, à part : Qu’entends-je ?
MADAME ALAIN, à Javotte : D’où le savez-vous, caqueteuse ?
AGATHE : C’est vous qui me l’avez dit, ma mère, même qu’il ne se souciait pas de Mademoiselle.
JAVOTTE : Et qu’il ne faisait semblant de l’aimer qu’à cause de son bien.
AGATHE : Et Javotte est la seule à qui j’en ai ouvert la bouche.
MADAME ALAIN, à la Vallée : Et moi, je n’en ai parlé qu’à ma fille, en passant. À qui se fiera-t-on ?
MONSIEUR THIBAUT : C’est en passant que vous me l’avez dit aussi, souvenez-vous-en.
MADAME ALAIN : À l’autre.
MADEMOISELLE HABERT, à La Vallée : Ingrat ! sont-ce là les témoignages de ta reconnaissance ? (À Monsieur Thibaut et à Monsieur Rémy.) Messieurs, il n’y a plus de contrat. (À La Vallée.) Va, je ne veux te voir de ma vie !
LA VALLÉE, essayant de la retenir : Ma mie, écoutez l’histoire ! C’est un quiproquo qui vous brouille.
MADEMOISELLE HABERT, en larmes : Laisse-moi, te dis-je ! Je te déteste.
LA VALLÉE, à Mademoiselle Habert qui s’enfuit : Je vous dis qu’il faut que nous raisonnions là-dessus. (À Messieurs Thibaut et Rémy.) Messieurs, discourez un instant pour vous amuser, en attendant que je la regagne. (À Madame Alain.) Oh ! langue qui me poignarde !
Il sort précipitamment.
MADAME ALAIN : Parlez de la vôtre, mon ami Giroux, et non pas de la mienne. (À Agathe.) Aussi bien est-ce vous, maudite-fille, qui m’attirez des reproches.
AGATHE : Ce n’est pas moi, ma mère, c’est Javotte.
MADAME ALAIN, à Monsieur Thibaut : Pardi, Monsieur Thibaut, vous êtes une franche commère avec vos quatre mille livres que vous êtes venu nous dégoiser là si mal à propos ! N’avez-vous pas honte ?
MONSIEUR THIBAUT, sortant : Puisse le ciel vous aimer assez pour vous rendre muette !
MADAME ALAIN : Oui ! vous verrez que c’est moi qui ai tort !
MONSIEUR RÉMY, à Madame Alain : Quand j’aurai vidé votre armoire je vous achèverai aussi mes compliments.
MADAME ALAIN : C’est fort bien fait, Messieurs. Voilà ce qui arrive quand on ne sait pas se taire !